Le présent chapitre comportera quatre parties : dans un premier temps, on précisera la nature de l’héritage antique ; dans un deuxième temps, on étudiera la transmission de cet héritage depuis l’Antiquité jusqu’au début de la Renaissance (XIVe siècle en Italie, XVIe siècle ailleurs) ; dans un troisième temps, on évaluera l’apport spécifique des humanistes dans cette transmission [ce chapitre doit beaucoup à Pfeiffer (1976) et à Reynolds et Wilson (1984)]. Enfin, on analysera rapidement l’apport de l’humanisme dans les lettres, les sciences et les arts.
(1)1.
Nature de l’héritage antique
Précisons d’emblée que l’ensemble des textes grecs et latins dont nous disposons aujourd’hui ne représente que la partie visible d’un iceberg, différents éléments ayant contribué à amoindrir l’« héritage classique ».
Parmi ces éléments figure notamment le changement du support de l’écrit. Les Grecs et les Latins ont d’abord utilisé des rouleaux de papyrus pour leurs « éditions ». Lorsque le parchemin (peau de bête) s’est progressivement substitué au papyrus, toutes les œuvres n’ont pas été transcrites à cette occasion ; de même, lorsque les parchemins, vu leur coût, ont été réutilisés (palimpsestes), bien des textes anciens ont été « grattés » pour faire la place à d’autres : ainsi s’explique l’émergence aujourd’hui d’œuvres demeurées inaccessibles durant les siècles précédents, parce qu’elles n’apparaissent que dans des papyrus conservés dans les sables du désert en Egypte ou sommeillant dans des musées ou dans des collections privées. Par ailleurs, le passage du manuscrit à l’imprimé a été une révolution, dont l’influence a été globalement positive : en multipliant le nombre d’exemplaires d’une œuvre, l’ « invention » de Gutenberg a augmenté les chances de survie de celle-ci ; mais il fallait mériter l’intérêt des libraires éditeurs et donc avoir un public potentiel ou réel. Signalons en passant que l’édition électronique posera les mêmes problèmes liés au changement de support, puisque les logiciels changent fréquemment ; la tentation sera grande d’éliminer ce qui est peu recherché, comme on le fit au Moyen Age lors de la réutilisation des palimpsestes.
Une deuxième cause de la diminution du nombre d’œuvres conservées au fil des âges est la destruction, accidentelle ou provoquée, des lieux de stockage de celles-ci. Ainsi, l’incendie de la Bibliothèque d’Alexandrie et de son contenu, lors de la campagne de César en Egypte, a causé un dommage irréparable à notre connaissance de l’Antiquité, eu égard à l’ampleur de sa collection d’ouvrages grecs constituée par les philologues alexandrins depuis le IIIe siècle a.C. et à l’abondance des éditions critiques réalisées par ces mêmes philologues. De même, le sac de Constantinople par les Croisés en 1204 provoqua la disparition d’œuvres qui avaient été conservées jusque-là : on sait, par exemple, que la majorité de l’œuvre des poètes Callimaque (IIIe siècle a.C.) et Hipponax (VIe siècle a.C.) fut détruite en cette circonstance.
Une troisième cause de réduction de l’héritage réside dans les choix opérés par les différentes générations face au bagage culturel qui leur est transmis. Certains critères utilisés par les lettrés et les puissants de l’Antiquité ont pesé sur la destinée des textes. Ainsi, le caractère obsolète prêté à de nombreuses œuvres a valu à celles-ci des sélections radicales et la rédaction de résumés qui ont survécu, alors que les sources complètes étaient progressivement retirées de la circulation. Pour me limiter à l’Antiquité, je songe en particulier, pour le premier cas, à la sélection, opérée sous le règne d’Hadrien (env.100 p.C.), de 7 tragédies d’Eschyle et de 7 tragédies de Sophocle, face aux quelque 80 et 200 pièces composées respectivement par les deux dramaturges ; pour le second cas, un bon exemple du remplacement du texte par son résumé nous est fourni par l’historien latin Tite-Live, dont 107 « livres » sur 142 nous sont parvenus sous forme d’épitomé. De même, le critère de « moralité » a provoqué un tri, la lecture de certaines œuvres étant prônée pour leur valeur pédagogique ou identitaire – tel fut le cas des deux épopées homériques et des poèmes didactiques d’Hésiode -, d’autres étant jugées peu recommandables et déconseillées à des jeunes élèves, par exemple les poèmes amoureux de Sappho redécouverts récemment grâce aux papyrus ou les poèmes pédérastiques de Théognis, dont quelques échantillons seulement sont parvenus jusqu’à nous.
Dès l’Antiquité donc, des œuvres notoires avaient disparu ; d’autres disparitions eurent lieu par la suite, pour les trois motifs que j’ai évoqués et dans une mesure qu’il convient de préciser à présent.
(1)2.
Transmission de l’héritage classique de l’Antiquité à l’aube de la Renaissance
Si, selon un mot célèbre de Georges Gusdorf, « la découverte de l’Antiquité fut la première des grandes découvertes », il faudrait toutefois se garder d’une vision simpliste de l’histoire de la transmission des textes et de faire ressurgir à ce propos la vision stéréotypée et incorrecte d’un Moyen Age obscurantiste et clérical à l’excès : bon nombre d’auteurs anciens furent déjà connus et étudiés durant ces dix siècles, les auteurs grecs en Orient, les auteurs latins en Occident. La différence entre la culture médiévale et celle de la Renaissance se situe ailleurs. Elle est tout d’abord d’ordre quantitatif : les humanistes eurent progressivement accès à un nombre plus grand de sources grecques ET latines et récupérèrent la quasi-totalité de ce dont nous disposons aujourd’hui. Elle est aussi d’ordre qualitatif, les lettrés de la Renaissance ayant d’autres attentes à l’égard de l’héritage antique que leurs prédécesseurs médiévaux, davantage soumis aux enseignements de l’Eglise. C’est pourquoi avant d’aborder l’époque de la Renaissance, il convient de retracer l’histoire des textes classiques durant le Moyen Age occidental et byzantin.
(1)2.1. Durant le Moyen Age oriental
Au IVe siècle de notre ère, la culture grecque païenne se trouva menacée par le statut de religion d’Etat reconnu au christianisme par l’empereur Constantin. Car la majorité du clergé était hostile au paganisme et à la culture qui le véhiculait et recommandait l’enseignement exclusif des textes sacrés. Ce fut le prosélytisme de l’Eglise qui sauva en définitive l’hellénisme. Car il lui fallait rendre la nouvelle religion attrayante pour les intellectuels païens : or on ne pouvait y parvenir qu’en discutant de concepts majeurs de la nouvelle foi dans des termes empruntés aux philosophes de l’Antiquité, en particulier aux Stoïciens et à Platon. En outre, certains Pères de l’Eglise estimaient que la littérature antique, par les questions qu’elle posait, prouvait que le monde païen attendait en quelque sorte la venue du christianisme et pouvait de la sorte être considérée comme une propédeutique à l’égard de celui-ci. Il fut dès lors admis que les chrétiens lisent quelques textes païens au cours de leurs études. Le mouvement était lancé et ne ferait que prendre de l’ampleur. C’est ainsi que la poésie et l’art oratoire antiques furent étudiés dans de nombreuses universités de l’Empire d’Orient dès le Ve siècle. Au VIe siècle, on assista même à la traduction dans les langues orientales (syriaque, arménien, arabe) des œuvres philosophiques et scientifiques de l’Antiquité grecque.
La période qui s’étend du IXe au XIIIe siècle connut un renouveau brillant des études grecques classiques. Pour ne citer qu’un seul exemple, bien connu des philologues classiques, le patriarche de Constantinople Photios (env. 810-env. 893) rédigea à cette époque non seulement un Lexique de vocabulaire grec bourré de citations, mais aussi sa fameuse Bibliothèque, collection de résumés des livres qu’il avait lus au cours de sa longue carrière et donc certains ne nous sont connus que grâce à lui (Indika du médecin-historien Ctésias de Cnide, roman d’Antoine Diogène etc.).
Le sac de Constantinople (1204) et l’occupation des Croisés (1204-1261) causèrent les pertes de manuscrits évoquées plus haut et un ralentissement de la culture grecque. En revanche, la quatrième croisade initia des échanges intellectuels entre l’Orient et l’Occident et encouragea le commerce des manuscrits. A partir de ce moment, des collectionneurs ou leurs mandataires se rendirent dans l’Empire byzantin pour y acheter des textes grecs, connus et moins connus. Citons le cas du chancelier de Florence, Coluccio Salutati, qui fit demander en 1396 au diplomate byzantin Manuel Chrysoloras de venir enseigner le grec à Florence et de lui procurer par la même occasion un lot important de manuscrits :
« Fais en sorte que ne manque aucun
des historiens qui puisse être repéré, aucun poète ou auteur qui aurait
traité des fables des poètes. Fais aussi que nous ayons des traités de
métrique. Je voudrais aussi que tu apportes avec toi un Platon complet et
autant d’auteurs de vocabulaires qu’il peut s’en trouver, desquels dépend
toute la difficulté de compréhension. Trouve-moi un Plutarque que tu pourras.
Achète aussi un Homère en parchemin en grosses lettres, et si tu trouves un
traité de mythologie, achète-le » [Lettre de
Coluccio Salutati à Iacopo d’Angelo della Scarperia, citée par Saladin
(2000), pp.46-47]. |
Ce dernier ramena en plus, aux frais de l’aristocrate Palla Strozzi un manuscrit illustré de la Géographie de Ptolémée et un manuscrit de la Politique d’Aristote.
Après le départ des Croisés survint, à la fin du XIIIe et au début du XIVe siècle une nouvelle renaissance des lettres antiques, plus limitée que la première. Car les Turcs ottomans commençaient à s’emparer progressivement des possessions de l’Empire byzantin et à devenir les maîtres de la Méditerranée orientale. Au fur et à mesure qu’ils prirent conscience du danger, avant même la chute de Constantinople en 1453, de nombreux lettrés byzantins se rendirent en Italie (en particulier à Venise), emportant des manuscrits dans leurs bagages et disposés à les vendre, ainsi que leur savoir, pour survivre. L’Italie servirait dès lors de voie de passage pour la diffusion des textes grecs dans le reste de l’Occident. Ainsi, par la double action des acheteurs occidentaux et des exilés orientaux, « on ne trouve plus aujourd’hui de textes classiques dans les bibliothèques de l’Orient hellène ; mais il fallait à n’en pas douter qu’il en fût ainsi pour que la littérature grecque survive » [Reynolds et Wilson (1984), p.53.].
(1)2.2. Durant le Moyen Age occidental
Malgré les vicissitudes du Bas-Empire (déposition de Romulus Augustule en 476), les bibliothèques impériales survivaient au VIe siècle avec leur contenu et on pouvait encore, vers 500, se procurer la plupart des auteurs latins (sauf les poètes « érotiques » !), les auteurs grecs ayant été abandonnés. Cependant, à cette époque, l’héritage latin eut, comme l’héritage grec et pour les mêmes raisons, à triompher de l’indifférence de l’Eglise, voire de son mépris. En Italie, les réticences ecclésiastiques des débuts provoquèrent des désastres : « Les auteurs païens ont été sacrifiés, non parce qu’on leur était hostile, mais parce que personne n’avait envie de les lire et que le parchemin était trop précieux pour qu’on y conservât un texte obsolète […]. Les classiques payèrent un très lourd tribut aux palimpsestes» [Reynolds et Wilson (1984), p.59].
Tout changea lorsque la civilisation latine fut transplantée sur une terre où elle ne pouvait rivaliser avec le christianisme puisqu’elle s’y répandait en même temps que lui grâce à des clercs qui contrôlaient la situation face à des fidèles incultes et non nourris de paganisme. C’est ce qui arriva en Irlande et en Grande-Bretagne au VIIe et au VIIIe siècle. On y lisait notamment Virgile et Lucain, Perse et Juvénal, Pline l’Ancien, Cicéron et certaines œuvres d’Ovide.
Les moines irlandais et britanniques vinrent évangéliser le continent et y stimuler une vie intellectuelle, principalement dans les monastères. Ils fournirent ainsi les éléments qui allaient permettre la renaissance carolingienne à la fin du VIIIe et au début du IXe siècle. Celle-ci fut encouragée par Alcuin, abbé de Tours et conseiller de Charlemagne, qui mit au point pour l’école de la cour un programme d’enseignement, qui rayonna sur les écoles des monastères et des cathédrales. On observe dès lors la multiplication de riches bibliothèques et la création d’ateliers de copies de manuscrits, les scriptoria des monastères (d’où la mise au point d’un nouveau type d’écriture, la minuscule caroline, dérivée de la cursive romaine). Si on dresse l’inventaire des œuvres classiques accessibles à la fin du IXe siècle, on constate que certains auteurs étaient si solidement implantés que leur survie était assurée. Tel fut le cas de Virgile, Horace, Lucain, Stace, Juvénal, Perse, Térence, Cicéron, Salluste, Pline l’Ancien, Sénèque, Vitruve et dans une moindre mesure de Plaute, Lucrèce et Tite-Live.
Après la période troublée des Xe et XIe siècles, on assiste à une nouvelle renaissance au XIIe siècle, caractérisée par l’émergence de la science et de l’érudition arabes, par la multiplication d’écoles, par l’élargissement du public intéressé par les classiques latins.
La rencontre avec la civilisation arabe, grâce aux Croisades et à la Reconquête de l’Espagne, apporta un élargissement des connaissances, essentiellement dans le domaine scientifique. On doit aux Arabes la fondation de la première école de médecine à Salerne et l’émergence à Tolède d’un grand centre de traductions, lesquelles allaient assurer la redécouverte par l’Occident des traités scientifiques d’Aristote et des interprétations et explications arabes qui les accompagnaient. Citons, parmi les intermédiaires arabes entre la science antique et les Occidentaux, Avicenne (980-1037), médecin et philosophe, et Averroès (1126-1198), commentateur d’Aristote.
La même époque vit la multiplication d’écoles cathédrales, qui échappaient aux moines pour passer à l’enseignement du clergé. Certaines d’entre elles devaient donner naissances aux premières universités, telle la Sorbonne.
Enfin, elle connut une diffusion plus large de l’héritage classique. Celui-ci était désormais étudié non seulement par les clercs mais aussi par les laïcs, ce qui explique la résurrection de certains auteurs, moins appréciés jusqu’alors, comme par exemple Ovide.
La culture du XIIIe siècle fit également la part belle à l’héritage latin, mais elle le fit à travers une approche très particulière, celle de la scolastique. Il n’est peut-être pas inutile de rappeler que la scolastique est le développement de la dialectique, qui, avec la grammaire et la rhétorique constitue le trivium. Sa démarche était la suivante :
(1) construire un problème en posant une question (quaestio) ;
(2) discuter entre maître et élèves de la question (disputatio) ;
(3) établir la solution suite à la discussion (determinatio).
Deux fois l’an, les étudiants étaient invités à poser au maître une question sur un problème de leur choix ; de l’aptitude des maîtres à y répondre dépendait leur réputation. Pour soutenir ce type d’enseignement, on publiait des recueils de citations de la Bible, des Pères de l’Eglise, des Anciens, ainsi que des commentaires et des encyclopédies, dans lesquels l’Antiquité trouvait place. En revanche, on assista à la même époque à une multiplication de manuscrits corrompus, leurs copistes s’attachant à multiplier le texte, non à le respecter. Si la scolastique marqua incontestablement un renouveau dans les études, elle finit par se scléroser et fit l’objet de critiques acérées de la part des humanistes : ceux-ci lui reprochaient son jargon, son enfermement dans une logique stérilisante et son absence d’intérêt pour les Lettres et la Rhétorique, réduites désormais à la portion congrue [cf. sur ce sujet Saladin (2000), pp.177-187 et Rico (2002), pp.22-25].
Laissons ici aussi Reynolds et Wilson porter le jugement final sur cette histoire des textes dans l’Occident médiéval : « L’étude des classiques survécut, progressa et s’adapta fort bien aux goûts et conditions de l’heure, mais le contexte ne lui ayant jamais permis de jaillir en une grande flambée, elle resta à couvert sous la cendre » [Reynolds et Wilson (1984), p.81].
(1)3.
L’apport spécifique des humanistes à la connaissance de l’Antiquité
Puisque les circonstances permirent dès le XIVe siècle la réunion des fleuves de l’Orient et de l’Occident, contribuant ainsi à mettre à la disposition des lettrés d’Italie et d’ailleurs « cette masse critique » de textes grecs et latins que l’imprimerie diffuserait à de nombreux exemplaires, il convient d’examiner, préalablement à toute autre analyse, le travail que les « humanistes » consacrèrent à cette abondance de sources.
(1)3.1. Les éditions
En premier lieu, ils établirent les premières éditions de la majorité des textes dont nous disposons aujourd’hui. On notera à ce propos que les editiones principes ne sont pas le résultat d’une discrimination positive : ont été édités à la Renaissance aussi bien des textes célèbres (par exemple Homère et Virgile) que des textes très spécialisés (le traité de chasse d’Oppien, le traité de tactique d’Elien etc.). Certaines maisons d’édition, comme l’entreprise des Alde, avaient du reste l’ambition de livrer à l’impression l’ensemble des textes de la littérature grecque ou latine. En revanche, les rééditions revues et augmentées fournissent une indication sur le succès rencontré par les différentes œuvres et sur l’importance et les attentes du public concerné : certains textes ne connurent ainsi qu’une seule édition.
Par ailleurs, le travail éditorial mené à la Renaissance n’en était qu’aux premiers pas de la critique textuelle, discipline qui a fortement évolué depuis. Ainsi, les humanistes en général se montraient plus soucieux de trouver un texte nouveau que de fournir une bonne version du texte à éditer. C’est pourquoi ils se contentaient le plus souvent de confronter les textes figurant dans deux - au maximum trois - manuscrits ; une fois établie l’editio princeps, ils comparaient régulièrement celle-ci à la version fournie par d’autres manuscrits, en notant les variantes dans les marges de leur exemplaire. Rares sont ceux qui, à l’instar de Lorenzo Valla et d’Angelo Poliziano eurent conscience du devenir historique des œuvres et prirent en compte l’âge et la qualité des sources, cherchant à se fonder sur le stade le plus ancien de la tradition et à établir une chronologie des documents produits.
Ceux des humanistes qui ne se préoccupaient pas trop de l’histoire de la transmission n’hésitaient pas en revanche à pratiquer la conjecture pour remédier aux défectuosités d’un texte et rivalisaient d’ingéniosité à ce propos. Dans les cas les plus favorables, comme par exemple celui de Jean Dorat, le maître de la Pléiade, les conjectures s’appuient sur une érudition phénoménale et sur la lecture d’innombrables textes antiques : bon nombre d’entre elles ont été adoptées une fois pour toutes et figurent dans les éditions les plus récentes. Je citerai à titre d’exemple, en me référant aux éditions d’Eschyle, le Français Adrien Turnèbe comme créateur de conjectures et le Florentin Pier Vettori, comme lettré soucieux d’établir une « certaine histoire du texte » :
«Ayant entrepris d'éditer Eschyle, nous avons
mesuré la difficulté de notre tâche en cours de travail et nous avons compris
que nous nous étions lancés dans une entreprise trop grande et trop difficile
pour que le texte puisse être établi convenablement, ainsi que nous l'avions
projeté. Car l'ayant trouvé rempli d'erreurs innombrables et criblé de
blessures malignes et gangréneuses, nous fûmes frappés de stupeur et ne
savions comment le rendre compréhensible dans l'état où il se trouvait. Voilà
pourquoi nous fut imposée, à nous qui nous étions juré de lui rendre la
santé, la tâche de bons médecins, à savoir ne rien bouger inconsidérément, ne
pas agir à la légère sur les plaies purulentes et les tumeurs molles. Nous
pensions, en effet, que les gens sensés nous sauraient gré des erreurs
corrigées et ne nous reprocheraient pas les fautes qui subsisteraient. Nous
n'hésiterions pas à proclamer que ce n'est pas n'importe comment que nous
avons amendé trois tragédies. Ayant reçu du très illustre président Aymar de
Ranconet une copie tout à fait ancienne, nous y avons trouvé un excellent
moyen de corriger l'édition de ces trois tragédies. En revanche, en ce qui
concerne les autres drames, nous boitons un peu, car nous n'avons pu réduire
la foulure de la même façon, faute de copies. Toutefois, ce n'est pas un
petit nombre d'erreurs qui a été guéri, tantôt grâce aux scolies qui étaient
à notre disposition, tantôt grâce à la compréhension du passage » [original grec dans Mund-Dopchie (1984), p.48]. |
«Sur un point nous fûmes assurément plus
heureux, en ce sens que nous avons découvert un Agamemnon complet, dont une
partie, au demeurant fort petite, avait été imprimée auparavant. En effet,
cette fable, en vertu d'une erreur antérieure non sans importance, avait été
confondue avec les Choéphores: j'indiquerai la cause de cet inconvénient,
sauf erreur de ma part. Ces deux tragédies se trouvent dans un très ancien et
très noble manuscrit, lequel contient toutes les tragédies d'Eschyle et de
Sophocle qui ont échappé aux dégâts du temps ainsi que les Argonautiques; ce
manuscrit se trouve chez nous. Les deux tragédies s'y trouvent copiées dans
l'ordre dans lequel se déroule l'action: l'Agamemnon précède et est suivi des
Choéphores. Mais quelques feuillets du manuscrit ont été perdus ou découpés
par un individu malhonnête, feuillets qui contenaient la majeure partie de
l'Agamemnon et le début des Choéphores; il ne nous manque toutefois pas une
grande partie en ce qui concerne le début des Choéphores. Nous avions trouvé un autre manuscrit, dans lequel l'Agamemnon
était complet, mais nous n'avons pu trouver ni ici ni ailleurs les Choéphores
dans leur intégralité: c'est pourquoi j'ose affirmer que la partie conservée
des Choéphores dérive de notre manuscrit à partir duquel elle a été
transcrite après que soit survenue la perte sus-mentionnée; elle est venue
entre nos mains, privée de son début. En ce qui concerne l'Agamemnon, pour n'omettre aucune
possibilité de le restituer, comme nous avions appris qu'un manuscrit
contenant cette tragédie se trouvait dans la bibliothèque d'Alexandre
Farnèse, évêque remarquable et extrêmement bien informé de tout ce qui est
digne d'un homme noble et illustre, nous avons veillé à comparer une copie de
notre manuscrit avec cet exemplaire. Guillaume Sirlet nous prêta son concours
fidèle et érudit pour noter avec diligence toutes les variantes de l'autre
manuscrit. Nous-mêmes, après avoir pesé toutes ces variantes, sommes venus à
cette opinion que notre manuscrit n'était pas inférieur à l'autre et qu'une
grande partie des variantes qui avaient été introduites dans l'autre
manuscrit avaient été proposées par un homme qui avait voulu restituer les
rythmes du chœur dans certains vers; car nous avons relevé des ajouts et des
suppressions qui répondaient à ce but » [original latin
dans Mund-Dopchie (1984), p.48]. |
(1)3.2.1 . La traduction latine
(1)3.2.2. Les traductions en langue
vernaculaire
« Les traductions, quand
elles sont bien faites, peuvent beaucoup enrichir une langue. Car le
traducteur pourra faire française une belle locution latine ou grecque, et apporter
en sa cité, avec le poids des sentences, la majesté des clauses et élégances
de la langue étrangère » [Jacques
Peletier, Art poétique (1555), éd. F. GOYET, Traités de poétique et
de rhétorique de la Renaissance, Paris, le Livre de poche classique,
1990, p.263. |
Mais elles ne prétendent généralement pas rendre le texte original dans son étrangeté et sa distance par rapport à la société de la Renaissance : elles entendent au contraire « franciser » le contenu en éliminant les références trop précises à un monde disparu, qui rendraient la lecture trop pénible. La confrontation d’extraits d’Antigone traduits respectivement par Paul Mazon dans la Collection Guillaume Budé et par Jean-Antoine de Baïf (1573) est révélatrice à cet égard :
« Le héraut a signifié, dit-on, aux citoyens, de
ne pas le couvrir de terre et de ne pas le pleurer » (vv.26-27). « Citoyens, les dieux, qui avaient ébranlé notre
cité d'un grand trouble, l'ont fermement redressée à présent »
(vv.162-163). « Mais à l'abri dans sa demeure, elle s'en va
auprès de ses servantes pleurer son deuil intime (vv.1248-1249) ». |
« Et par Édit exprés à tous a defandu Et de ne l'enterrer, et de ne le pleurer... » « Mes amis,
les bons Dieux en fin ont arresté Du Royaume l'état, qu'ils avoyent tempesté... » « Pour mieux se lamenter elle s'est retirée À crier et pleurer entre ses
Damoyselles... ». |
On comprend dès lors pourquoi des écrivains peu formés à l’hellénisme – contrairement à Baïf d’ailleurs – aient pu se risquer à traduire des textes grecs !
(1)3.3. Les commentaires
En troisième lieu, les humanistes ont démontré leur connaissance de l’Antiquité et la qualité de l’intérêt qu’ils lui portaient à travers les commentaires qui ont accompagné les textes. Ceux-ci sont de dimension variée et recouvrent aussi bien la brève explication d’un mot obscur, la définition d’une règle de syntaxe, une explication d’un trope qu’une analyse relativement étendue d’une réalité antique, le développement d’un message éthique ou un jugement esthétique [voir Céard (1981)]. L’appréciation de ces commentaires sera nuancée.
On admirera sans réserve l’érudition immense, la diversité des domaines abordés, la mémoire incroyable dont témoignent la plupart des humanistes. Mais on notera qu’il s’agit d’un savoir essentiellement cumulatif, qui, en cela, ne se distingue pas fondamentalement de la démarche des encyclopédistes médiévaux. Le plus souvent, on met sur le même pied l’essentiel et l’accessoire, le fréquent et le rare ; on y voyage à travers le temps et l’espace sans tenir compte d’une évolution ou du poids de l’histoire et de la géographie.
D’autre part, le respect pour les Anciens obnubile toute démarche critique à leur égard. Ce sont en réalité les critiques formulées par les Anciens eux-mêmes qui permettent aux humanistes d’être critiques à leur tour. Ainsi, les humanistes éprouvent des sentiments mitigés à l’égard du Tragique athénien Eschyle, parce qu’Aristote et Cicéron ont exprimé une réticence à son sujet.
Enfin, lorsque l’essentiel de l’héritage antique aura été rassemblé, celui-ci finira par inspirer à la fois les questions qu’il faut poser et les éléments qui permettront d’y répondre. C’est parce qu’il connaît parfaitement la plupart des textes anciens qu’Isaac Casaubon, le gendre d’Henri Estienne, pourra démontrer que les écrits attribués à Hermès Trismégiste sont récents puisqu’ils empruntent de nombreux éléments à la tradition biblique et chrétienne [voir sur ce sujet Dionisotti, Grafton & Kraye (1988)]. Inversement, son excellente connaissance de l’héritage classique permettra à Annius de Viterbe de publier en 1489, avec la bénédiction du pape Alexandre VI, une chronologie faussement attribuée à l’historien babylonien Bérose.
(1)3.4. Les langues anciennes
(1)3.4.1. Le latin
Jamais le sort du latin n’a, selon les apparences, été aussi assuré qu’à l’époque de la Renaissance. Certes, durant le Moyen Age occidental, le latin a été la langue des clercs, en d’autres termes la langue d’usage, parlée et écrite, de toute la population instruite d’Occident, soit quelques milliers, voire dizaine de milliers de personnes. Tout en n’étant la langue maternelle de personne, il était la langue de l’enseignement, du droit, des sciences et de la religion (pour les chrétiens) [Saladin (2000), p.25]. Mais ce latin-là avait évolué depuis l’Antiquité, comme toute langue vivante, et avait connu des processus de simplification et de diversification, rendant obsolètes certains mots de vocabulaire et créant de nouveaux mots.
A la Renaissance, le latin devient plus que jamais la langue de l’enseignement à tous les niveaux. Ainsi le petit enfant apprend à lire en latin ; ce n’est que lorsqu’il maîtrise la lecture dans cette langue qu’il passe au français. Il travaille d’abord sur des abécédaires latins afin de reconnaître les lettres et de les assembler en syllabes, puis il s’exerce sur des livres de lecture extrêmement divers, mais consistant toujours en des textes religieux en latin. Dans les écoles et collèges, le latin est la langue parlée, celle dans laquelle le professeur fait son cours, commente les textes, donne les explications, celle dans laquelle l’enfant parle en classe, mais aussi joue lors des récréations ; des « espions » se chargent d’ailleurs de dénoncer tout manquement à la règle. Ainsi les statuts de la Faculté des arts de Paris (1598) prescrivaient :
« Qu’aucun des étudiants, au
collège, ne parle l’idiome vulgaire, mais que la langue latine leur soit d’un
usage familier » [cité par Waquet (1998), pp. 18-19 et
326]. |
Si les humanistes ont redonné vigueur au latin, ils l’ont fait dans une perspective différente de celle qui avait prévalu les siècles précédents : ils voulaient en effet ménager à leurs élèves un accès direct et approfondi avec les auteurs classiques, dont les œuvres devaient les préparer à être pleinement « hommes »aux plans intellectuel et moral. Malheureusement leur passion pour l’Antiquité leur a tendu un piège dans lequel ils sont tombés : ils ont prôné le retour au latin utilisé par les auteurs anciens, privilégiant parmi eux les auteurs de la période classique, et ont dès lors pourchassé les « barbarismes » du latin médiéval, ce latin de cuisine, selon les termes dédaigneux de Lorenzo Valla. Par de telles pratiques, ils figeaient le latin dans un état ancien, le rendant progressivement inapte à rendre compte du monde dans lequel ils vivaient. Ils contribuèrent ainsi à faire du latin une langue artificielle, c’est-à-dire « une langue disparue de l’usage, mais néanmoins douée de prestige, et regardée comme part inaliénable de la culture » [cf. Cl. HAGEGE, Halte à la mort des langues, Paris, 2000, p.68]. Le processus fut toutefois très lent : si le latin fut concurrencé par les langues vernaculaires dès le XVIe siècle dans le domaine des lettres, il maintint sa prééminence comme langue des savoirs (philologie, sciences) jusque dans les années 1750 dans toute l’Europe et plus tard encore dans des secteurs particuliers. De même, la liaison établie entre une culture occidentale à portée universelle et le latin valut à ce dernier d’être maintenu dans le dispositif pédagogique de nombreuses années après qu’il ait cessé d’être indispensable dans la vie civile et/ou dans l’acquisition de savoirs nouveaux. Mais ceci est une autre histoire [cf. Waquet (1998), pp.213-245].
(1)3.4.2. Le grec
Par comparaison avec celle du latin, la situation du grec en Occident fut désastreuse durant tout le Moyen Age. Il était une langue parlée par des étrangers, schismatiques de surcroît ; par ailleurs, ces étrangers étaient demeuraient les seuls dépositaires et interprètes des textes grecs antiques, qu’ils avaient reçus par transmission directe. Si les premiers humanistes revendiquèrent avec fierté leur filiation par rapport à la Rome antique, ils éprouvèrent cependant, comme les lettrés médiévaux, quelque difficulté à se mettre à l’école des Grecs schismatiques. Ils furent amenés à réviser leur position quand leur fréquentation assidue des auteurs latins leur révéla l’importance de la civilisation grecque dans le monde romain. Ils désirèrent alors remonter à la source, à l’instar de Pétrarque qui se lamentait de ne pas pouvoir lire le texte original d’Homère dont il possédait un manuscrit :
«Ton Homère est muet auprès de moi,
tandis que moi, je suis sourd auprès de lui, et souvent je l’ai embrassé en
disant : ‘Ô grand homme, combien je désirerais t’entendre’ ! » [Pétrarque, Familiares
res, XVIII, 2 cité par Saladin (2000), pp. 46 et 420]. |
Ils partirent à la recherche de professeurs susceptibles de leur enseigner le grec et, principalement en Italie dès le XIVe siècle, les trouvèrent parmi les exilés byzantins, qui firent des cours, tantôt à titre privé, tantôt sur invitation des Etats, qui leur confièrent – momentanément ou durablement des chaires. Ainsi, Pétrarque apprit des rudiments de grec à Avignon auprès du diplomate grec Barlaam , tandis qu’en 1396 Coluccio Salutati obtint du sénat florentin de faire venir à ses frais le savant diplomate Manuel Chrysoloras et de lui accorder la première chaire de grec en Occident. Notons qu’à l’origine on attendait de ces doctes qu’ils enseignassent en latin les auteurs grecs ; l’apprentissage de la langue pour elle-même vint en second. Ces premiers « Grecs » furent relayés par leurs élèves italiens, puis français et germaniques. Mentionnons à ce propos les initiatives de Vittorino da Feltre et de Guarino de Vérone, ouvrant, l’un, une école à Mantoue en 1423, l’autre, une école à Ferrare en 1430, où l’enseignement du grec faisait obligatoirement partie du cursus des études.
Si les humanistes « vagants », les Byzantins et leurs disciples occidentaux, ne cessèrent de pourvoir à l’enseignement des auteurs grecs ET de leurs langues, des institutions fixes s’en chargèrent également. Signalons ainsi la création de chaires de poésie et de chaires de grec dans les universités existantes et dans celles qui furent créées au XVIe siècle. A cette filière normale, il convient d’associer les collèges « trilingues », dont le but était l’enseignement des trois langues de la Bible : grec, latin, hébreu : collèges de Alcalá de Hénares (1508), de Louvain (1518), d’Oxford (1520) et de Paris (1530), le célèbre Collège des lecteurs royaux. Enfin, dans le monde germanique, furent fondées dès la fin du XIVe siècles des écoles nouvelles, municipales et cathédrales, de niveau primaire et secondaire, en particulier celle du réseau des Frères de la Vie commune, qui essaimèrent depuis les Pays-Bas jusqu’en Pologne. Ces écoles révolutionnèrent la pédagogie en instaurant le système des classes séparées par âge et en intégrant dans les programmes les Bonae Litterae et l’enseignement de leurs langues. Elles obtinrent de bons résultats, comme on peut en juger par l’expérience du collège de Sélestat racontée par Thomas Platter, appelé à devenir imprimeur à Bâle dans les trois langues :
« Lorsque nous arrivâmes dans la
ville, et que nous eûmes trouvé gîte chez un vieux couple (le mari était
complètement aveugle), nous allâmes chez feu mon cher praeceptor
Messire Johannes Sapidus et nous le priâmes de nous accepter. Il nous
demanda d’où nous étions. Quand nous lui dîmes : ‘De Suisse, du Valais’,
il dit : ‘Il y a là de sacrés méchants paysans, ils chassent tous leurs évêques
du pays. Si vous voulez vraiment étudier, vous n’aurez rien à me donner.
Sinon, vous devrez me payer ou je vous dépouillerai jusqu’à la chemise’.
C’était la première école où j’eus l’impression que cela marchait droit. Les studia
et les linguae commençaient à ce moment-là ; c’était l’année de
la Diète de Worms (1521). Sapidus a eu une fois jusqu’à neuf cents discipuli,
beaucoup de compagnons joliment savants ; à cette époque étaient là le Doctor
Jérôme Gemusaeus, le Doctor Johannes Huberus et encore bien
d’autres qui sont devenus plus tard des doctores et des hommes
célèbres. Quand j’entrai alors à l’école, je ne savais rien, pas même lire
le Donat (et j’avais déjà dix-huit ans). Je m’assis parmi les petites enfants
et j’étais comme une poule couveuse au milieu des poussins. Un jour, Sapidus
lut la liste de ses discipuli et déclara : ‘J’ai beaucoup de nomina
barbara, il faut que je les latinise un peu’. Et il en redonna lecture.
Il m’avait d’abord inscrit sous le nom de Thomas Platter et mon compagnon
Antonius Venetz. Il les avait traduits en Thomas Platterus et en Antonius
Venetus, puis il demanda : ‘Qui sont ces deux-là’ ? Quand nous
nous levâmes, il s’écria : ‘Quelle horreur ! Ce sont ces deux
galeux d’écoliers qui ont de si jolis noms’ ! Et c’était vrai en partie,
surtout de mon compagnon qui était si galeux que souvent le matin, je devais
lui arracher le drap du corps comme la peau d’une chèvre ; moi, j’étais
plus habitué à l’air et au manger étranger que lui » [Thomas Platter,
Autobiographie, cité par Saladin (2000), pp.338-339]. |
La victoire du grec fut ainsi assurée à la Renaissance, sans toutefois parvenir à placer celui-ci au même rang que le latin. Les hellénistes furent moins nombreux que les latinistes et leur cercle ne tarda pas à se rétrécir à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle. Paradoxalement, l’état ancien d’une langue toujours vivante connut moins de succès qu’une langue artificiellement ressuscitée : il est vrai que la décision d’utiliser le latin par le concile de Trente y contribua largement [Waquet (1998), pp.63-66].
(1)4.
Progrès et résistances engendrées par le retour de l’Antiquité
L’influence de
l’Antiquité s’est exercée dans des domaines qui sortaient de son étude. Elle a
constitué un facteur de progrès dans l’épanouissement de la culture de la
Renaissance, mais aussi un frein, qui a engendré de salutaires résistances.
Pour le dire brièvement, les bonae litterae ont inspiré trois démarches
intellectuelles : l’imitation (imitatio), qui permettait
d’assimiler de nouveaux modèles, l’émulation (aemulatio), qui permettait
de créer, et la diversification (uarietas), qui réalisa une forme de
syncrétisme entre la tradition antique, les traditions chrétienne et médiévale
et les particularités nationales.
(1)4.1. La langue
L’imitation
et l’émulation se sont ainsi manifestées dans l’émergence d’une littérature
néo-latine. Comme je l'ai déjà dit plus haut, on assista à un retour en force
du latin classique. Le contact avec les auteurs anciens a servi la promotion de
la rhétorique. Tous les humanistes au sens strict et bon nombre de lettrés
s'exprimaient désormais aisément, par la parole et par l'écrit, en un latin
revenu à ses origines, mais qui, ne pouvant pas intégrer des néologismes pour exprimer
des réalités nouvelles, s'acheminait vers le statut de langue morte. Dans un
rejet unanime du « latin de cuisine », on discutait plutôt du modèle
qu'il convient d'imiter. On assista ainsi à des joutes entre les partisans de
Cicéron - tels que l’éditeur imprimeur Etienne Dolet et l’humaniste allemand
Jean Sturm - et les anti-cicéroniens, parmi lesquels figurent Pierre de la
Ramée et Juste Lipse. On écrivit en latin des épopées, des drames, de la poésie
lyrique, des lettres, des œuvres historiques, des traités philosophiques. Par
un singulier paradoxe, le latin devint tout à la fois une langue internationale
et une langue réservée à des cercles d'érudits. Concurrencée par les langues
vernaculaires au niveau de la littérature et vaincue par celles-ci aux niveaux
politique et économique, elle demeura la langue privilégiée et officielle de la
science et de l'Église (à l'exception des sermons populaires). Mais ceux qui
l'utilisaient se condamnaient à terme à n'atteindre qu’un nombre restreint de
lecteurs: tel fut le sort de l'œuvre de Jacques-Auguste de Thou, un des
meilleurs historiens de la Renaissance, peu connu en dehors des spécialistes,
parce qu’il a rédigé celle-ci en latin. Le retour au latin produisait dans le
même temps les causes de sa mort.
En
revanche, les langues vernaculaires bénéficièrent incontestablement du retour
à l'antiquité. Pour limiter l’analyse au cas du français, on voit Joachim du
Bellay justifier très explicitement dans sa Défense et Illustration de la
langue française (1549) la promotion de sa langue maternelle face à la
redécouverte des auteurs classiques. Il s'agissait, d'une part, de défendre le
français en tant que langue littéraire face aux poètes néo-latins (les poètes
néo-grecs demeurant une infime minorité), dont le succès risquait d'entraver le
développement de la langue et de la culture française ; ce type de
motivation rejoignait une prise de conscience de l'identité nationale. Il
s'agissait, d'autre part, de rendre le français aussi illustre que le grec et
le latin en lui accordant une place éminente dans la littérature, en
particulier dans la poésie. Pour cela, il fallait l'enrichir par des emprunts
et par l'imitation du grec et du latin. On vit ainsi apparaître de nombreux
mots composés, fabriqués sur le modèle des adjectifs grecs :
- Adjectifs ou substantifs apposés:
aigre-doux, pied-vite, chèvre-pied, homme-chien. - Adverbe + adjectif (ou participe): mal-rassis. - Verbe + complément direct: l'été donne-vin; l'air porte-nue; mouton
porte-laine. |
Si les grands poètes en firent un usage modéré, d'autres franchirent les
bornes du ridicule, tel, par exemple du Bartas inventant les expressions
« Terre porte-grains », « Porte-or »,
« porte-santé », « porte-habits »,
« porte-humains », « porte-fruits », « porte-tours »
etc.
On
recommanda de même de créer des termes dérivés de mots latins ou grecs, à
condition qu'ils soient gracieux et plaisants à l'oreille et qu'ils respectent
le génie du français. C’est pourquoi on assista à l’émergence de nombreux mots
savants, les uns empruntés au latin (perennel, exceller, inversion, mânes,
révolu), d'autres au grec (orgie, stratagème, périphrase).
On adopta enfin, de
manière parfois discutable, des tours inspirés de « la phrase et manière
de parler latine et grecque »:
- l’infinitif à la place du nom: l'aller, le chanter, le vivre, le
mourir. - l’adjectif substantivé: le liquide des eaux, le vide de l'air, le
frais des ombres. - l’adjectif pour l'adverbe: ils combattent obstinés; il vole léger. - des verbes construits librement avec l'infinitif: volant d'y aller etc. |
Certains de ces
tours (infinitif substantivé, adjectif adverbial) existaient déjà dans la
littérature médiévale. Les poètes français de la Renaissance les ont largement
diffusés.
(1)4.2. Les lettres
La
littérature vernaculaire de la Renaissance emprunta aux littératures antiques
ses modèles formels, ses images, ses conceptions du style, le plus souvent à
travers le filtre italien, dans un premier temps au moins.
On observe ainsi une prolifération d'odes
pindariques, sapphiques, anacréontiques, un retour à l'épopée antique inspiré
par Homère, Apollonius de Rhodes et Virgile, le choix du dialogue, sur le
modèle platonicien, pour discuter de théories ou présenter des traités, la
rédaction de lettres imitant celles de Pline le Jeune... Il existait également
un théâtre d'inspiration humaniste, joué dans les collèges ou même à la
cour ; il reprenait les formes, et souvent les sujets, du théâtre antique,
qu'il s'agisse de la comédie ou de la tragédie.
De même, les élégances du style proviennent
directement de l'Antiquité. Les tropes étaient à la mode et la mythologie
fournissait un nombre impressionnant de noms propres et de toponymes, symboles
et métaphores qui constituent un langage codé, que tous les lettrés
comprennent. Deux poèmes de Ronsard illustrent remarquablement cette démarche:
« Ainsi toy, bien-heureux, si poëte heureux se
treuve, Plus dispos et plus gay tu traversas le fleuve Qui n'est point repassable,
et t'en allas joyeux Rencontrer ton
Homere és champs delicieux, Où sur les bancs
herbus ces vieux peres s'assisent, Et, sans soin, de
l'amour parmy les fleurs devisent Au giron de leur
Dame: un se couche à l'envers, Sous un myrte esgaré,
l'autre chante des vers, L'un luitte sur le
sable, et l'autre à l'escart saute Et fait bondir la
bale, où l'herbe est la moins haute. Là Orphé, habillé
d'un long surpelis blanc, Contre quelque
laurier se reposant le flanc, Tient sa lyre cornüe
et, d'une douce aubade, En rond parmy les
prez fait dancer la brigade. Là les terres sans
art portent de leur bon gré L'heureuse panacée,
et le rosier pourpré Fleurit entre les
lis, et sur les rives franches Naissent les beaux
œillets, et les paqu'rettes blanches. Là sans jamais
cesser jargonnent les oiseaux, Ore dans un bocage,
et ore pres des eaux Et en toute saison
avec Flore y souspire D'un souspir eternel
le gratieux Zephire. Là comme icy n'a
lieu fortune ni destin, Et le soir comme icy
ne court vers le matin, Le matin vers le
soir, et comme icy la rage D'acquerir des
honneurs ne ronge leur courage. Là le bœuf laboureur
d'un col morne et lassé Ne reporte au logis
le coutre renversé, Et là le marinier
d'avirons n'importune, Chargé de lingos
d'or, l'eschine de Neptune; Mais sans point
travailler toujours boivent du Ciel Le Nectar qui
distille, et se paissent de miel. Là, bien-heureux
Salel, ayant à la Nature Payé ce que luy doit
chacune creature, Tu vis franc de la mort,
et du cruel soucy Tu te moques là-bas, qui nous tormente icy » [Epitaphe d’Hugues Salel, dans Ronsard. Oeuvres complètes, Tome II, éd. Gustave COHEN, Paris, Gallimard, 1938, p.787]. |
« Pousson la nef à ce bord bien-heureux, Au port heureux des
Isles bien-heurées, Que l'Ocean de ses
eaux azurées, Loin de l'Europe, et
loin de ses combas, Pour nostre bande
emmure de ses bras. Là, sans navrer
comme icy nostre ayeule Du soc aigu,
prodigue, toute seule Fera germer en
joyeuses foréts Parmy les champs les
presens de Cerés; Là, sans tailler la
nourrissiere plante Du bon Denys, d'une
grimpeure lente S'entortillant,
meurira ses raisins De son bon gré sur
les ormes voisins. Là, sans mentir, les
arbres se jaunissent D'autant de fruits
que leurs boutons fleurissent; Et, sans faillir, en
tous temps diaprez De mille fleurs, s'y
peinturent les prez Francs de la bize,
et des roches hautaines Tousjours de laict,
gazouillent les fontaines. Là comme icy
l'avarice n'a pas Borné les champs, ny
d'un effort de bras Avec grand bruit les
pins on ne renverse Pour aller voir
d'une longue traverse Quelque autre monde;
ains jamais descouverts On ne les voit de
leurs ombrages verts Par trop de chaut,
ou par trop de froidure. Jamais le loup pour quester
sa pasture, Hurlant au soir, ne
vient effaroucher Le seur bestail à
l'heure de coucher; Ains, sans pasteur
et sans qu'on luy commande, Beslant aigu, de son
bon gré demande Que l'on l'ameille,
et de lui-mesme tend Son pis enflé qui de
cresme s'estend. Là, des dragons les
races escaillées Gardans les bords
des rives esmaillées Ne font horreur à
celuy qui seulet Va par les prez
ourdir un chapelet; Ny là du Ciel les
menaces cruelles, La rouge pluye, et
les sanglantes gresles, Le tremblement, ny
les foudres grondans, Ny la Comete aux
longs cheveux pendans, Ny les esclairs des
ensoufrez tonnerres Au peuple oisif ne
predisent les guerres Libre de peur de
tomber sous la main D'un
Senat rude, ou d'un Prince inhumain » [Les isles Fortunées. À Marc-Antoine de Muret, dans Ronsard. Oeuvres complètes, Tome II,
éd. Gustave COHEN, Paris, Gallimard, 1938, pp.411-412]. |
Les deux textes français dérivent
incontestablement de modèles latins, le paradis des amoureux conçu par Tibulle et
décrit par Virgile, ainsi que le rêve d'évasion d'Horace face aux maux de son
temps [cf.
Virgile, Enéide, VI, 637-664 ;
Horace, Epodes, XVI, 41-66 ;
Tibulle, III, 35-66]. Sous la plume de Ronsard, les îles « Bienheurées »
ne constituent cependant plus qu'un joli topos, une métaphore élaborée
avec des noms-symboles (Denis, Cérès, Neptune...) et un artifice de langage,
qui désigne sous des ornements antiques un autre monde réservé tantôt aux
morts, tantôt aux vivants.
Enfin, la redécouverte ou l'approfondissement des
traités d'esthétique produits par les auteurs anciens, Aristote, Longin,
Cicéron, Horace, Quintilien, inspirèrent les conceptions esthétiques du temps.
Jules-César Scaliger et Francesco Robortello, pour ne citer que deux exemples,
diffusèrent des règles de composition qui leur survécurent largement. On leur
doit notamment l'interprétation - erronée - d'une exigence d'Aristote, auquel
ils faisaient remonter la célèbre règle des trois unités qui enferma par la suite
dans un véritable carcan la tragédie française du XVIIe siècle.
Ici
aussi, ce qui était d'abord une innovation et une création par rapport à la
littérature antérieure, devint peu à peu une pesanteur. L’imitation trop
servile des Anciens finit par susciter de nombreuses critiques au sein de la
République des Lettres. Des lettrés tinrent à souligner qu’il ne fallait pas
reproduire artificiellement le monde des Anciens, mais faire ce qu’eux-ci
avaient fait à leur époque, à savoir s’adapter au contexte dans lequel ils
rédigeaient. C’est pourquoi, par exemple, certains lettrés estimaient que
l’imitation de Plaute était absurde, puisque la comédie porte sur les mœurs et
coutumes et que celles-ci changent avec le temps. Comme le constate le poète
comique Anton Francesco Grassini :
« A Florence, nous ne vivons plus comme autrefois à Athènes et à
Rome. Il n’y a pas d’esclaves. Les fils adoptifs sont rares » [cité par Burke (2000), p.136]. |
C’est pourquoi se manifesta également
un intérêt nouveau pour le passé non antique des pays européens. On assista en
France, par exemple, à une sorte de résurgence celtique, les humanistes faisant
l’éloge de Vercingétorix plutôt que celui de son ennemi César. De même, la
périphérie de l’Europe, que les Romains n’avait jamais conquise, s’intéressa à
ses racines plus anciennes : l’on vit ainsi, à travers la plume de Conrad
Celtis, l’Allemagne se présenter comme la rivale victorieuse de Rome et tout
aussi civilisée que cette dernière, les Hongrois s’identifier aux Huns, les
Polonais aux Sarmates, les Danois aux Cimbres, les Espagnols et les Suédois aux
Goths, peuplades dont on vantait les bonnes mœurs et leur amour de la liberté.
Il convient toutefois de noter que ces considérations ne relevaient pas
uniquement de la pure érudition ou d’un nationalisme exacerbé ; elles
tenaient aussi à une italophobie engendrée par la prééminence des Italiens dans
tous les domaines, par l’ampleur même du succès des manières et des modes
italiennes à l’étranger ainsi que par la haine de Rome dans les pays passés à
la Réforme.
(1)4.3. La pensée et
la science
Si le concept de
révolution scientifique apparaît lié aux XVIIe et XVIIIe siècles, du fait de
l’émergence d’une philosophie mécanique et du développement de la pensée
mathématique, les sciences de la nature, quant à elles, progressèrent durant la
Renaissance, grâce à la redécouverte de l’essentiel du bagage antique à leur
propos. Même s’il s’interdisait théoriquement de s’intéresser à autre chose
qu’aux bonae litterae, le mouvement
humaniste permit en effet une meilleure connaissance des
« autorités » scientifiques – Hippocrate et Galien en médecine,
Ptolémée en géographie et en cosmologie, Pline l’Ancien et Aristote
pratiquement en tout – en publiant leurs œuvres à partir des meilleurs
manuscrits. Pour reprendre deux cas particulièrement éclairants, la médecine
fut capable de théoriser ses pratiques au contact du corpus hippocratique et
des traités de Galien, tandis que la géographie tournait le dos aux représentations
médiévales du monde exprimées dans les cartes en T pour adopter les cartes de
la Géographie de Claude Ptolémée,
centrées sur la Méditerranée; les premiers atlas furent, nous le verrons plus
loin, forgés à partir des cartes de Ptolémée.
Ces représentations
fondées sur le monde antique finirent toutefois par devenir pesantes ;
lorsqu’elles servaient à conforter le message chrétien, elles constituèrent
même un véritable carcan qui permettait difficilement d'intégrer dans la
culture commune des expériences sans précédent antique ou biblique. Ainsi,
l'allégeance au système géocentrique des Anciens et aux propositions d'Aristote
poussèrent les Autorités à refuser le modèle héliocentrique, pressenti par
Copernic et confirmé par l'expérience grâce à l'usage des lunettes
astronomiques. De même, André Vésale, en pratiquant des dissections (en
cachette) fut amené à récuser les théories anatomiques des Anciens. Il entra
dès lors en conflit sur ce point avec des confrères, partisans de l'explication
traditionnelle. Enfin, les cartes ptoléméennes furent totalement inadéquates
quand il fallut décrire les côtes de l'Afrique et de l'Inde ; en outre,
elles ignoraient, bien entendu, l’existence de l'Amérique. On commença dès lors
à corriger timidement les cartes existantes et à intégrer dans le recueil
ptoléméen des cartes du Nouveau Monde. Mais il fallut attendre la fin du XVIe
siècle pour qu'Ortelius et Mercator distinguent définitivement la géographie
antique, laquelle appartint désormais à l'histoire des sciences, et la cartographie
moderne, fondée sur des arpentages et des rapports de voyageurs ayant sillonné
terres et mers. Les Découvertes, qui seront étudiées dans un chapitre ultérieur
mettront du temps à pénétrer bon nombre d'universités: Érasme ne mentionne pas
l'Amérique dans ses écrits et les manuels des écoliers français de la fin du
XVIe siècle signalent à peine l'existence de l'Amérique et les explorations
portugaises, alors qu'ils nous disent tout sur l'œcoumène traditionnelle, à
travers des périégèses aussi obsolètes que celle de Denys.
1(4)4. La musique
Bien que la
production musicale de l’Antiquité demeurât peu connue avant ces dernières
années, il existait des sources classiques qui décrivaient la musique de la
Grèce ancienne et notamment les différences entre les modes dorien, phrygien et
lydien. Ce sources furent étudiées à la Renaissance par le Florentin Girolamo
Mei et par le Français Jean-Antoine du Baïf, lequel s’intéressait par ailleurs,
nous l’avons vu, aux rythmes de la poésie grecque. Les travaux de Mei, demeurés
inédits, furent utilisés par Vincenzo Galilei, le père de Galilée, dans son Dialogue de la musique ancienne et moderne.
Ces recherches purement érudites eurent d’importantes conséquences pratiques.
Critiquant la musique polyphonique, Mei et ses amis préconisaient la monodie et
furent ainsi à l’origine du canto fermo et
du stile recitativo, utilisés dans
des drames musicaux qui appliquèrent leurs idées : ces drames devaient à
leur tour inspirer Monterverdi lorsqu’il composa son Orfeo (1607) et son Arianna (1608).
Dès lors, comme Peter Burke le constate non sans humour, « en cherchant à
ressusciter l’ancien, les humanistes avaient contribué à inventer le
nouveau » [Burke (2000),
p.158]. On doit en effet à leurs travaux théoriques la
naissance de l’opéra.
(1)4.5. L'art
Comme la
littérature, les arts subirent, eux aussi, l‘influence antique, mais à des
degrés différents selon les domaines. Ce fut incontestablement l’architecture qui
fut la plus directement marquée par les modèles anciens du fait que des ruines
antiques subsistaient en Italie – lesquelles par parenthèse ne suscitaient
aucun souci de conservation chez les humanistes – et à travers l’étude du
traité d’architecture de Vitruve, dont un manuscrit avait été découvert par le
Pogge en 1414. Cette double présence favorisa l’émergence d’un nouvel art,
opposé à l’art gothique. Les bâtiments construits par Brunelleschi marquent
incontestablement une rupture à cet égard: en remplaçant l’arc en plein
cintre par un arc brisé, les dessus de portes et de fenêtres courbes par des
dessus droits, en laissant des surfaces sans ornements, il fait des églises San
Lorenzo et Santo Spirito des temples classiques. De même, les théoriciens-praticiens
Sebastiano Serlio et Andrea Palladio non seulement composèrent de grands
traités, dans la tradition de Vitruve, mais construisirent également des
bâtiments civils et religieux conformes aux principes qu’ils édictaient. La
sculpture put, elle aussi, s’inspirer de modèles antiques, comme le montre
Donatello, qui fouilla les ruines romaines et produisit à l’antique bustes,
bas-reliefs et statues. La peinture constitua un cas un peu différent, dans la
mesure où la peinture antique n’était connue qu’à travers des allusions faites
par les Anciens à des traités disparus par ailleurs. Si elle emprunta aux Grecs
et aux Romains certains décors et bon nombre de sujets, elle fut moins sous
leur dépendance : elle fut toutefois une digne fille de l’humanisme dans la
mesure où elle s’imprégna de sa pensée en se souciant de rendre l’homme et la
nature tels qu’ils étaient. Qu’il s’agisse des arts majeurs ou des arts
mineurs, l’Italie fut à nouveau l’intermédiaire par lequel les nouveaux
courants furent diffusés. Et c’est par rapport à l’Italie que les traditions
nationales se définirent, voire s’opposèrent. Ainsi, l’art flamand et l’art
italien s’influencèrent mutuellement, mais ils n’en conservèrent pas moins des
caractéristiques propres et entrèrent dans une émulation positive. De même, le
passé gothique ne fut ni totalement ni constamment critiqué : au
contraire, il donna lieu à d’authentiques chefs d’œuvre, qui n’avaient rien à
envier aux productions du nouvel art.
(1)5.
Bibliographie utilisée
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dans L'automne de la Renaissance 1580-1630. XXIIe Colloque International
d'Études humanistes de Tours, 2-13 juillet 1979, Paris, Vrin, 1981,
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DIONISOTTI
(A.C.), GRAFTON (Anthony) & KRAYE (Jill) éds., The Uses of Greek and
Latin. Historical Essays, Londres, The Warburg Institute, 1988.
MUND-DOPCHIE (Monique), La survie d'Eschyle à
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Peeters, 1984.
PFEIFFER
(Rudolf), History of Classical Scholarship. From 1300 to 1850, Oxford, Clarendon, 1976.
REYNOLDS (L.D.) - WILSON (N.G.), D'Homère à
Érasme. La transmission des classiques grecs et latins. Nouvelle édition
revue et augmentée. Traduite par C. BERTRAND et mise à jour par P. PETITMENGIN,
Paris, Editions du CNRS, 1984.
RICO (Francisco), Le rêve de l’humanisme. De Pétrarque à Erasme. Traduit de l’espagnol par Jean TELLEZ et Alain-Philippe SEGONDS, Paris, Les Belles Lettres, 2002 (1e éd. en espagnol, 1997, plusieurs éditions et traductions augmentées et revues).
SALADIN (Jean -Christophe), La bataille du grec à la Renaissance, Paris, Les Belles Lettres, 2000.
TERNES (Charles Marie) éd., Études classiques.
Fascicule IV. Rencontres scientifiques de Luxembourg 1992.3. Actes du colloque « Méthodologie
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WAQUET (Françoise), Le latin ou l’empire d’un signe. XVIe-XXe siècle, Paris, L’évolution de l’humanité Albin Michel, 1998.