Préface_commentaire

 

                                      COMMENTAIRE

 

1. Le fond.

 

         (1)1. Le but poursuivi par Lucien est la détente, le délas­sement: il ne prétend aucunement faire de la littérature sérieuse. C'est un but régulièrement proposé par les auteurs d'histoires fantastiques:

        

        

Cf. Rabelais, Avertissement en vers du Gargantua (1534):

« Mieux est de ris que de larmes écrire

« Pour ce que rire est le propre de l'homme ».

 

Cf. Jonathan Swift, Lettre de Richard Sympson au lecteur des Voyages de Gulliver (1727), voyages chez des nains (Lilliputiens) chez des monstres (Yahoo) etc:

            « D'après les conseils de plusieurs personnes, auxquelles, avec la permission de l'auteur, j'avais communiqué les papiers, je risque aujourd'hui de les produire dans le monde, avec l'espérance qu'ils seront du moins pendant quelque temps un passe-temps plus agréable pour notre jeune noblesse que les rhapsodies des écri­vains de parti ».

        

         (1)2. C'est une détente élitiste, car elle ne s'adresse qu'à de purs intellectuels:

- Elle suppose de la culture générale (τὸ ἀστεῖον).

- Elle suppose une vaste érudition livresque: on nous promet une parodie d'innombrables auteurs, poètes, prosateurs, philosophes, dont trois seulement sont nommément désignés: Ctésias de Cnide, Iamboulos et l'Homère de l'Odyssée. Il y a donc un double langage, comme dans d'autres récits du même genre. On songe à Rabelais déjà cité:

 

« A quel propos, en votre avis, tend ce prélude et coup d'essai? Pour autant que vous, mes bons disciples, et quelques autres fols de séjour, lisant les joyeux titres d'aucuns livres de notre invention, comme Gargantua, Pantagruel..., Des pois au lard cum commento, etc., jugez trop facilement n'être au dedans traité que moqueries, folâtreries et menteries joyeuses: vu que l'enseigne extérieure (c'est le titre), sans plus avant enquérir, est communément reçue à dérision et gaudisserie. Mais par telle légèreté ne convient estimer les oeuvres des humains: car vous-mêmes dites que l'habit ne fait point le moine... C'est pourquoi faut ouvrir le livre et soigneusement peser ce qui y est déduit. Lors connaîtrez que la drogue dedans contenue est bien d'autre valeur que ne promettait la boîte. C'est-à-dire que les matières ici traitées ne sont tant folâtres comme le titre au-dessus prétendait ».

 

         Toutefois, Rabelais a des idées personnelles à défendre et il recourt à la forme symbolique pour ne pas courir de risques. Ses idées sur l'éducation, sur le gouvernement, sur la guerre, sur la justice, sur la religion heurtent les opinions reçues. Ainsi, il se dresse contre l'éducation du Moyen Age, qui débouche, selon lui, sur la paresse, le mépris de l'hygiène et de l'activité intellectuelle, la goinfrerie, la dévotion formaliste et mécanique, pour prôner une formation harmonieuse de l'esprit et du corps, une initiation aux sciences les plus diverses et une éducation de gentilhomme.

         Lucien, au contraire, n'a pas d'idées personnelles et originales à défendre. Son intention est de pasticher: son but est donc uniquement littéraire et parodique.

 

         (1)3. Nous avons enfin affaire à la critique d’un genre littéraire. Lucien s'élève, avec une feinte véhémence, contre l'habitude qu'ont les narrateurs de récits fantastiques de se présenter comme des narrateurs de vérité. Les exemples ne manquent pas dans la littérature grecque.

 

         Ainsi nous voyons confirmée l'affirmation que l'Odyssée était régulièrement comprise comme un texte géographique, et il est par ailleurs exact qu'Ulysse prétend raconter des aventures réelles:

 

Cf. Od., VIII, 489-491, 496-498: Ulysse à l'aède Démodocos:

            « Quand tu chantes si bien le sort des Achéens, l'as-tu vu de tes yeux ou par les yeux d'un autre? [...] Si tu peux tout au long nous conter cette histoire, j'irai dire partout qu'un dieu, qui te protège, dicte ton chant divin ».

 

Cf. Od., VIII, 548-549: Alkinoos à Ulysse, qui s'exécutera:

            « Mais à ton tour, mon hôte, il ne faut rien cacher; sans feinte, réponds-moi; rien ne vaut la franchise ».

 

      Ainsi Hérodote affirme également vouloir énoncer des faits purement humains(τὰ γενόμενα ἐξ ἀνθρώπων), grands (μεγάλα) ou extraor­dinaires (θωμαστά).

 

         Ainsi Ctésias de Cnide et Iamboulos, dont nous connaissons peu de choses, affirment clairement dire la vérité:

 

Cf. Ctésias ap. Photius, Bibl., cod. 72, 49h-50a:

« Tout en écrivant ces fables, Ctésias prétend raconter la stricte vérité; il ajoute qu'il a décrit ce qu'il a vu ou appris de témoins oculaires et que, s'il a omis bien d'autres données, c'est pour ne pas avoir l'air de raconter des choses incroyables pour ceux qui n'en ont pas été témoins ».

 

         Cette affirmation de vérité semble d'ailleurs être une exigence du genre, puisqu'on la retrouve dans bon nombre de récits fantastiques de la littérature européenne.

        

Cf. Jonathan Swift,  Lettre de Richard Sympson au lecteur des Voyages de Gulliver (1727):

            « Mais je ne sais quel air de vérité règne dans l'ensemble de l'ouvrage; et l'auteur se distingue en effet par la véracité; à tel point que, dans le voisinage de Redriff, quand on voulait affirmer quelque chose, on disait ordinairement: Cela est aussi vrai que si M. Gulliver l'avait dit ».

 

 

Cf. Le récit anonyme Le passage du pôle arctique au pôle antarcti­que par le centre du monde (1780):

            « Ayant toujours eu, dès ma jeunesse, une très grande passion pour les voyages, j'ai parcouru, pour contenter ma curiosité, toute les principales parties du vieux et du nouveau monde; et, à la fin de ma dernière course, je me trouvai dans la grande et fameuse ville d'Amsterdam, où je fis connaissance avec trois ou quatre gros négociants, qui me dirent qu'ils équipaient un vaisseau pour l'envoyer dans le Groenland à la pêche de la baleine. A cette nouvelle, je sentis mon inclination naturelle se ranimer, et je conçus d'abord le dessein de faire ce voyage, n'ayant point encore vu les climats glacés des zones froides ».

 

        

         Lucien va, lui aussi, raconter des aventures imaginaires, mais il se dresse contre cette convention de vérité. Il nous donne ces récits pour ce qu'il sont, des pures fictions, et il nous promet indirectement de démonter les mécanismes du merveilleux en littérature.

 

2. La forme :

         Dans cette introduction, Lucien adopte toutes les ficelles de l'art rhétorique.

 

         CONSTRUCTION PERIODIQUE.

 

§1.

ὥσπερ

οὕτως

οὐ μόνον

ἀλλὰ καὶ

 

§2.

 

γένοιτ’ ἂν

εἰ ὁμιλοῖεν

τοιούτοις

οἷον

μὴ μόνον

ἀλλὰ καὶ

οὐ μόνον... οὐδὲ... οὐδὲ

ἀλλὰ καὶ

 

 

 

         ELEGANCE ET RAFFINEMENT.

 

- Parallélisme des constructions:

οὐ τῆς εὐεξίας οὐδὲ τῶν γυμνασίων φροντίς

ἀνθρώπων ὠμότητας βίων καινότητας

 

- Chiasmes:

παρέξει τὴν ψυχαγωγίαν

θεωρίαν οὐκ ἐπιδείξεται

 

- Nombre oratoire:

ἀθλητικοῖς καὶ περὶ τὴν σωμάτων ἐπιμέλειαν ἀσχολουμένοις

 

- Comparaison avec les athlètes.

 

- Accumulation de mots empruntés au vocabulaire du merveilleux:

τεράστια, μυθώδη, παράδοξα

 

Jeux d'écriture sur la vérité et l'erreur:

πιθανῶς καὶ ἐναλήθως

ἄλλου ἀληθεύοντος

τὸ ψεῦδος πλασάμενος οὐκ ἀτερπῆ

τοῦ ψεύσασθαι οὐ σφόδρα ἐμεμψάμην

λήσειν οὐκ ἀληθῆ σύγγραφοντες

ἐπεὶ μηδὲν ἀληθὲς ἱστορεῖν εἶχον

ἐπὶ τὸ ψεῦδος ἐτραπόμην

ἀληθεύσω λέγων ὅτι ψεύδομαι

ὁμολογῶν μηδὲν ἀληθὲς λέγειν.