Préface-traduction                

 

         §1. De même que pour les athlètes et pour tous ceux qui s'adonnent à l'entraînement physique, existe le souci, non seulement de la forme ou des exercices, mais aussi de la détente prise au moment opportun - assurément ils considèrent cette dernière comme la part la plus importante de leur entraînement -, de même, je pense qu'il convient aussi à ceux qui s'adonnent à la raison, de relâcher leur attention après la lecture d'ouvrages très sérieux et de la rendre plus apte pour la tâche suivante.

 

         §2. Une détente appropriée pourrait se présenter à eux s'ils pratiquaient des lectures telles que, non seulement elles offriraient une pure séduction, issue d'une matière raffinée et agréable, mais aussi comporteraient une étude non indigne des Muses, quelque chose d'analogue à ce qu'ils penseront, je suppose, de la prose que voici. En effet, non seulement le caractère étrange du sujet et le charme de l'intention leur seront agréables, non seulement le fait que nous rapportons de façon convaincante et véridique des mensonges divers, mais aussi le fait que chacun des points racontés se rapporte à mots couverts, de façon parodique, à certains des anciens poètes, prosateurs et philosophes, qui ont écrit beaucoup de choses prodigieuses et fabuleuses, tous auteurs que j'aurais mentionnés par leur nom, s'ils ne devaient se dévoiler à toi par la lecture.

 

         §3. Tel est ainsi Ctésias de Cnide, fils de Ctésiochos, qui a écrit à propos du pays des Indiens et des régions avoisinantes ce que lui-même n'a jamais vu ni entendu rapporter par quelqu'un disant la vérité. De même, Iamboulos a écrit à propos des régions qui se trouvent dans la Grande Mer beaucoup de récits incroyables, fabriquant un mensonge connu de tous, tout en proposant un sujet point désagréable. Beaucoup d'auteurs, choisissant les mêmes sujets que ceux-ci, ont décrit leurs soi-disant errances et voyages, rapportant la grande taille des animaux, la cruauté des hommes et les étrangetés de leurs façons de vivre. Le prince de ceux-ci et le maître d'une telle bouffonnerie est l'Ulysse d'Homère, décrivant à l'entourage d'Alkinoos des vents esclaves, des hommes à un oeil, cannibales et sauvages, et de surcroît, des animaux à multiples têtes et des métamorphoses de compagnons, sous l'effet de drogues et beaucoup d'autres choses prodigieuses qu'il a inventées face aux Phéaciens, qui sont des gens simples.

 

         §4. Lisant donc tous ces récits, je n'ai pas du tout blâmé leurs auteurs pour leur mensonge, observant que c'était déjà un fait habituel chez ceux qui s'engagent à philosopher. Mais je me demande avec étonnement ceci, s'ils pensent dissimuler qu'ils écrivent des choses qui ne sont pas vraies. C'est pourquoi désirant, moi aussi, par amour d'une vaine gloire, laisser quelque chose à nos successeurs, afin que je ne sois pas le seul à ne pas avoir part à la liberté d'affabuler, parce que je n'avais rien de vrai à raconter - car je n'ai rien subi de remarquable -, je me suis tourné vers un mensonge qui fût beaucoup plus honnête que les autres, car je dirai la vérité au moins sur un seul point, en affirmant que je mens. Je pense ainsi que je pourrai échapper moi-même à l'accusation d'autrui en affirmant que je ne dis rien de vrai: j'écris donc à propos de choses que je n'ai pas vues, que je n'ai pas éprouvées, que je n'ai pas apprises d'autrui, en outre à propos de choses qui n'existent pas et qui ne peuvent commencer à être. C'est pourquoi il faut que mes lecteurs n'y attachent aucune foi.