CHAPITRE III :

LA POÉSIE LYRIQUE DU VIIe AU Ve SIÈCLE


 

         (3) 1. DÉFINITION DE LA POÉSIE LYRIQUE

 

(3)1.1. Ce que la poésie lyrique n'est pas

 

            ‑ Elle n'est pas lyrique au sens où nous entendons habituel­lement ce mot : cf. définition de Larousse : « se dit d’une œuvre poétique, littéraire ou artistique où s’expriment avec une certaine passion les sentiments personnels de  l’auteur »; elle ne décrit pas ‑ du moins pas essentiellement ‑ les sentiments personnels du poète.

 

            ‑ Elle n'est pas non plus nécessairement chantée: cf. définition de Larousse : « qui est mis en musique et chanté : par exemple théâtre lyrique » certains poèmes se contentent d'un accompagnement musical.

 

 

(3)1.2. Ce que la poésie lyrique est

 

            ‑ Elle est constituée de poèmes de mètres variés, que l'on peut classer selon leur forme.

 

            Ces poèmes sont étroitement liés à la musique: certains sont chantés (poésie mélique) soit par une seule personne (poésie monodique), soit par un ensemble (poésie chorale); d'autres sont simplement récités avec accompagnement musical (poésie monodi­que).

            Les instruments de musique utilisés sont: 1. la lyre ou la cithare (de la famille de la guitare); 2. l'aulos (instrument à vent apparenté à la flûte).

 

            Les sujets en sont variés et comprennent divers éléments dans une proportion variable:

             * Expression de sentiments amoureux et autres, qu’ils soient éprouvés personnellement ou non.

             * Expression d'une morale adaptée aux changements politiques et  intervenant dans le cadre de la cité.

             * Développements de thèmes de circonstances: exaltation d'un dieu, d'un héros, d'un vainqueur sportif.

 

            Les centres de production de cette poésie sont variés, incluant les cités d'Asie‑Mineure (p. ex. Archiloque de Paros, Alcman de Sardes), de la Grèce continentale (Pindare de Cynoscéphale) et de la Grande‑Grèce (p. ex. Stésichore d’Himéra, Ibycos de Rhégion).

 

 

         (3) 2. CLASSEMENT DES GENRES À L'INTÉRIEUR DE LA POÉSIE LYRIQUE

 

(3)2.1. La poésie chorale

 

            Elle est chantée en dorien et se sert de mètres compliqués.

 Elle comprend:

le péan: chant en l'honneur d'Apollon;

le dithyrambe: chant en l'honneur de Dionysos, puis d'autres dieux;

le parthénée: chant de jeunes filles;                 

le thrène: chant funèbre;

l'enkômion: chant d'éloge;

l'épinicie: chant de victoire célébrant le triomphe de sportifs;

l'hyporchème: chant et danse en l'honneur d'Apollon.

 

(3)2.2. La poésie monodique chantée

            Il s'agit essentiellement de:

l'ode: chanson abordant tous les sujets dans des vers variés,  groupés en strophes.

 

(3)2.3. La poésie monodique récitée

 

            Elle regroupe:

l'élégie: poème fondé sur l'alternance régulière d'hexamètres et de pentamètres dactyliques;

l'iambe: poème fondé sur une succession d'iambes.

 

 

         (3) 3. LES POÈTES LYRIQUES (classés selon le genre qu'ils ont le mieux illustré)

 

Remarque : dans la mesure du possible, les différents extraits cités montreront comment différents poètes ont traité un même sujet, en l’occurrence, la fragilité de la destinée humaine.

 

 

(3)3.1. La poésie iambique (genre satirique par excellence)

 

            (3)3.1.1. ARCHILOQUE DE PAROS (première moitié du VIIe siècle)

            Né d'un noble et d'une esclave, il mène la vie aventureuse d'un soudard, vendant ses services comme mercenaire, et appréciant les rixes. S’il est capable de célébrer l’amour et la beauté, il est surtout un maître de l'invective, réaliste, sans illusions sur les valeurs exaltées par ses contemporains, qui se moque aussi bien de son ex‑fiancée que de l'armée à laquelle il ne croit pas. Les deux extraits qui suivent illustrent ce double aspect de son talent :

 

« Elle aimait porter la branche de myrte,

Elle aimait la fleur de beauté des roses,

Laissait sur ses seins et sur ses épaules

Couler ses cheveux comme fait une ombre… »

 

« Mon bouclier fait le bonheur

De quelque soldat des Bulgares ;

Je l’ai lâché à contre cœur

Dans un buisson, cet objet rare !

C’est que je voulais fuir la mort :

Au diable mon vieux bouclier !

Je m’en rachèterai encor :

Il ne sera pas plus mauvais »  (trad. Robert Brasillach).

 

Illustration du thème :

 

« Sache, vainqueur, dominer ta victoire,

Ne pas, vaincu, t’enfermer dans les pleurs,

Sans t’irriter quand vient une heure noire,

Sans démesure au milieu du bonheur,

Et sache bien que les choses humaines

Ne sont jamais que mouvance incertaine » (trad. Robert Brasillach). 

 

 

            (3)3.1.2. SÉMONIDE D'AMORGOS (deuxième moitié du VIIe siècle)

            Il est célèbre par une satire des femmes, qu'il classe en différen­tes catégories et qu'il rapproche d'animaux corres­pondants.

 

            (3)3.1.3. HIPPONAX D'ÉPHÈSE (fin du VIe siècle)

            Poète renommé pour sa grossièreté, et dont il reste peu de vers. On lui attribue la paternité de l’aphorisme suivant :

 

« Il y a deux jours où une femme est un plaisir : le jour où on l'épouse et le jour où on l'enterre ».

 

 

(3)3.2. La poésie élégiaque

 

            Elle peut être tendre et triste, mais aussi guerrière ou politique.

 

            (3)3.2.1. CALLINOS D'ÉPHÈSE (première moitié du VIIe siècle)

            Il compose des exhortations au combat (restent 2 fragments). 

 

            (3)3.2.2. TYRTÉE (milieu du VIIe siècle)

            Il séjourne à Sparte, dont il exalte les valeurs guerrières par des exhortations au combat, demeurées célèbres. A titre anecdotique, on raconte qu'avant de partir en campagne, les soldats se réunissaient pour écouter une récitation de celles-ci.

            L’intérêt de son œuvre réside dans le fait qu’il a adapté l’idéal homérique, fondé sur la chevalerie et la gloire personnelle en un idéal collectif de service à la cité. Comme Homère en effet, Tyrtée célèbre la valeur guerrière, le bonheur des vainqueurs et la souffrance des vaincus. Il exalte la gloire du jeune homme mort en combattant. Mais cet honneur n'est plus réservé aux guerriers nobles, il est désormais accessible à tous.

 

 « O garçons ! au combat luttez en rangs serrés,

Car la fuite est honteuse autant que la panique.

Ayez dans la poitrine un grand cœur héroïque,

N’aimez pas trop la vie au moment de lutter.

[…]

Mais les jeunes garçons sont toujours beaux à voir,

Tant que brille la fleur des jeunes jours riants :

Des femmes le désir, des hommes les égards,

Alors qu’ils sont en vie les suivent du regard,

Et ils sont beaux aussi, tombés au premier rang » (trad. Robert Brasillach). 

 

 

            (3)3.2.3. MIMNERME DE COLOPHON (deuxième moitié du VIIe siècle)

            Amoureux d'une joueuse de flûte, Nanno, il chante avec mélancolie l'amour, le plaisir éphémère et la brièveté de la jeunesse ; mais on ne sait si ce sont des sentiments personnels qu’il exprime ou s’il exploite avec art des thèmes conventionnels. Le poème qui suit a incontestablement des accents « ronsardiens » et illustre une seconde fois le thème :

 

Mimnerme :

Comme au printemps fleuri poussent vite les feuilles

Lorsque les font grandir les rayons du soleil,

Ainsi, un court instant, à ces feuilles pareils,

Nous pouvons encor jouir des fleurs de la jeunesse,

Ignorants, grâce à Dieu, du mal comme du bien :

Mais déjà vient à nous le pas des noirs Destins ;

L’un apporte en présent la cruelle vieillesse,

Et l’autre de la vie montre déjà la fin.

Il ne dure qu’un jour, le fruit de la jeunesse,

Ainsi que le soleil sur le jour des humains » (trad. Robert Brasillach).

Ronsard :

Mignonne, allons voir si la rose

Qui de matin avait déclose

Sa robe de pourpre au soleil,

A point perdu cette vesprée

Les plus de sa robe pourprée,

Et son teint au vôtre pareil.

 

Las ! voyez comme en peu d’espace,

Mignonne, elle a dessus la place,

Las, las ses beautés laissé choir !

O vraiment marâtre Nature,

Puisqu’une telle fleur ne dure

Que du matin jusqu’au soir !

 

Donc, si vous m’en croyez, mignonne,

Tandis que votre âge fleuronne

En sa plus verte nouveauté,

Cueillez, cueillez votre jeunesse :

Comme à cette fleur, la vieillesse

Fera ternir notre beauté » (Odes, I, 17).

 

 

            (3)3.2.4. SOLON D'ATHÈNES (première moitié du VIe siècle)

            D’ascendance noble, Solon est obligé par la ruine de sa famille à s’adonner au commerce, ce qui l’amène à beaucoup voyager. Dans le même temps, il s’intéresse à la politique et compose des élégies pour faire connaître ses idées en la matière. Porté au pouvoir par les Athéniens lors d’une profonde crise agraire, il prend des mesures en faveur des déshérités (suppression de l'esclavage pour dettes) et d’une certaine démocratisation de la société : participation accrue – selon un classement censitaire – à l’assemblée et fondation d’un tribunal populaire, l’Héliée. Les poèmes qui nous ont été conservés reflètent sa force de conviction ainsi que la modération qui lui a valu d’être intégré parmi les Sept Sages de la Grèce : il y prône un usage juste des richesses, condamne l'hubris et vante la sôphrosunè, qui est le respect de la justice et des dieux.

 

«  Si j’ai épargné la terre de ma patrie,

Si je ne me suis pas attaché à la violence amère et à la tyrannie,

Si je n’en ai pas souillé et rendu honteuse ma renommée,

Je n’ai pas à en rougir, car c’est ainsi, je crois, que mon nom pourra surpasser

Le nom de tous les hommes ».

 

« Qui agit grandement ne peut plaire à chacun ».

 

« Je vieillis sans cesser d’apprendre » (Γηράσκω δαἰεὶ πολλὰ διδασκόμενος ; trad. Robert Brasillach).

 

 

            (3)3.2.5. THÉOGNIS DE MÉGARE (milieu du VIe siècle)

            Contrairement à Solon, Théognis est un aristocrate militant en faveur du maintien de ses privilèges dans une période de lutte entre parti démocratique et oligarchie ; il est par conséquent obligé de partir en exil lorsque les démocrates triomphent. Il compose des poèmes adressés au jeune Cyrnos, où il dénonce l'anarchie et place la justice dans le camp qu'il défend. Le Livre II de ses poèmes, dont on n’a conservé que quelques textes,  a un contenu érotique (et pédérastique).

 

« Ecrase sous ton pied le peuple sans raison.

Mets-lui le joug pesant, pique-le d’aiguillons. L’esclavage ne plaît à nul autant qu’à lui,

Parmi tous les vivants sur qui le soleil luit ».

 

« L’amour est doux-amer, et dur et merveilleux,

Tant que les jeunes gens chercheront à l’atteindre.

Qu’il est doux de pouvoir réaliser son vœu,

Triste de le poursuivre et ne pouvoir l’atteindre ! » (trad. Robert Brasillach).

 

 

            (3)3.2.6. PHOCYLIDE DE MILET (milieu du VIe siècle)

            La tradition voit en lui un des créateurs de l’épigramme, c’est-à-dire de courts poèmes composés en distiques élégiaques, à l’imitation des inscriptions funéraires et votives. On lui attribue un certain nombre de sentences morales, du type :

 

« Une cité sur un rocher, harmonieusement gouvernée, même petite, sera plus forte que Ninive l’insensée ».

 

 

 

(3)3.3. Les odes

            A la différence des élégies et des iambes, qui se détachent de la musique, les premières par leur caractère oratoire, les seconds par leur caractère agressif, les chansons, vivantes et souples, sont et demeurent étroitement liées à la musique : elles restent véritablement chantées, emploient des rythmes variés et se développent en systèmes (vers semblables entre eux) et strophes (vers de mètres différents).Ces chants individuels se prêtent particulièrement bien à l'expres­sion de sentiments intimes, en particulier l’amour et le plaisir du vin.

 

            (3)3.3.1. ALCÉE DE LESBOS (fin VIIe ‑ début VIe siècle)

            Comme Archiloque, il mène la vie aventureuse du condottiere et, comme lui, perd son bouclier lors d’une bataille. Rival de Sappho, il introduit une innovation technique: la strophe alcaïque. Par ailleurs, il tire de ses expériences vécues son inspiration. Parmi son oeuvre conservée, on trouve des chansons à boire et des satires politiques, où apparaît cependant un sentiment très vif de la nature. Les critiques littéraires grecs, tel Denys d’Halicarnasse, s’accordent à admirer Alcée pour sa vivacité, son mélange de grâce et de force et son art consommé de pratiquer l’image.

 

« Buvons ! n’attendons pas les lampes :

A un doigt est la fin du jour.

Apporte-nous des coupes grandes,

Des coupes ornées, mon amour.

Le fils divin de Sémélé

Aux hommes le vin a donné

Afin qu’ils puissent oublier.

Emplis la coupe jusqu’en haut,

Un tiers de vin et deux tiers d’eau

Et qu’une coupe chasse l’autre » (trad. Robert Brasillach).

 

 

            (3)3.3.2. SAPPHO DE LESBOS (fin VIIe ‑ début VIe siècle)

            Poétesse de profession, chargée d'organiser des prestations, elle rassembla une école autour d'elle et introduit une innovation technique: la strophe sapphique. On a fait de Sappho l’ « initiatrice » de l’amour entre femmes. En fait, elle était mariée et peut-être mère d’une fille ; ce qui ne l’empêchait pas d’avoir des relations passionnées avec ses élèves, de la même manière que Socrate en eut avec Agathon et Charmide. Si la sexualité de Sappho attira davantage l’attention, c’est parce que son témoignage est unique, alors que les amours pour des adolescents ont été largement célébrées. Quoi qu’il en soit, sa poésie fut fort appréciée des Anciens. Elle disparut par la suite et fut redécouverte à la Renaissance essentiellement à travers deux poèmes conservés grâce à des citations, l’une de Denys d’Halicarnasse, l’Hymne à Aphrodite, l’autre, du traité du Sublime « Il est semblable aux dieux », poème qui fut traduit par Catulle . Nous en savons davantage aujourd’hui sur l’œuvre de Sappho grâce aux papyrus d’Oxyrhynche.

 

   « Il goûte le bonheur que connaissent les dieux

Celui qui peut auprès de toi

Se tenir et te regarder,

Celui qui peut goûter la douceur de ta voix,

   Celui que peut toucher la magie de ton rire,

Mais moi, ce rire, je le sais,

Il fait fondre mon cœur en moi.

   Ah ! moi, sais-tu, si je te vois,

Fût-ce une seconde aussi brève,

Tout à coup alors sur mes lèvres,

Expire sans force ma joie.

   Ma langue est là comme brisée,

Et soudain, au cœur de ma chair,

Un feu invisible a glissé.

Mes yeux ne voient plus rien de clair,

A mon oreille un bruit a bourdonné.

   Je suis de sueur inondée,

Tout mon corps se met à trembler,

Je deviens plus verte que l’herbe,

Et presque rien ne manque encore

Pour me sentir comme une morte ». (Robert Brasillach).

 

   « Heureux qui près de toi pour toi seule soupire

Qui jouit du plaisir de t’entendre parler,

Qui te voir quelquefois doucement lui sourire,

Les Dieux, dans son bonheur, peuvent-ils l’égaler ?

 

   Je sens de veine en veine une subtile flamme

Courir par tout mon corps, sitôt que je te vois ;

Et dans les doux transports où s’égare mon âme

Je ne saurais trouver de langue ni de voix.

 

   Un nuage confus se répand sur ma vue.

Je n’entends plus ; je tombe en de douces langueurs

Et pâle, sans haleine, interdite, éperdue

Un frisson me saisit, je tremble, je me meurs »

(Nicolas Boileau, Traité du Sublime, Paris, 1674, ch. VII).  

 

« Je  le vis, je rougis, je pâlis à sa vue

Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue

Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler

Je sentis tout mon cœur et transir et brûler

Je reconnus Vénus et ses feux redoutables »

(Racine, Phèdre).

 

 

« Je désire et je brûle ».

 

« A nouveau l’Amour, le briseur de membres,

Me tourmente, doux et amer.

Il est insaisissable, il rampe » (trad. Robert Brasillach).

 

 

            (3)3.3.3. ANACRÉON DE TÉOS (milieu du VIe siècle)

            Originaire d’Asie-Mineure, Anacréon est un grand voyageur, séjournant dans des cours illustres, telles que la cour de Polycrate à Samos et celle d'Hipparque, le fils de Pisistrate, à Athènes. Il atteint une extrême vieillesse. Il nous a laissé quelques chansons d'amour et chansons de table, où il se révèle délicieux de finesse.

 

« Pourquoi me fuis-tu, cavale de Thrace,

Pourquoi ce regard oblique et sans grâce ?

Crois-tu que je sois sans adresse encor ?

 Mais sache-le bien, je pourrais sans peine

Te passer au col la bride et le mors,

Te faire tourner autour de l’arène.

Et si maintenant, aux prés et pastures

Tu bondis et joues d’un cœur si léger,

C’est qu’il manque encor un bon écuyer

Qui sût te serrer comme une monture » (trad. Robert Brasillach).

 

Illustration du thème :

 

« Oui, mes tempes sont déjà grises,

Mes cheveux sur mon front sont blancs ;

Jeunesse, auprès, n’est plus assise,

Et l’on a vu vieillir mes dents.

Pour goûter la douceur de vivre,

Ah ! je n’ai plus beaucoup de temps :

Moi qui ai peur de l’autre rive,

Je m’en défends bien souvent.

Le gouffre funèbre m’effraie,

Triste est la route qui descend :

Il n’est pas près de remonter

Non, celui-là qui la descend » (trad. Robert Brasillach).

 

 

            Il fut tellement apprécié durant l’Antiquité qu’il fut abondamment imité au cours des siècles entre le Ier siècle a.C. jusqu’à l’époque byzantine. Ces poèmes inspirés par lui furent regroupés dans un recueil de poèmes, les Anacréontiques, qui furent considérés comme authentiques lors de leur redécouverte à la Renaissance. La douceur d’Anacréon y était devenue préciosité et convention : le succès du recueil fut tel qu’il multiplia, par exemple, dans l’art,  les représentations du petit dieu Amour, tel qu’il est décrit, par exemple, dans le poème « l’Amour piqué », traduit de façon exquise par Ronsard.

 

Anacréontiques :

« Dans les roses, un jour,

Une abeille dormait.

Ne la vit point l’Amour,

Elle le piqua au doigt.

Avec sa main blessée,

Il se prend à crier.

Il s’envole et il court

Vers Cythérée la belle.

- Ma mère, crie l’Amour,

Je suis perdu, je meurs !

Un serpent m’a piqué,

Petit, avec des ailes.

Les paysans appellent

Cette bête une abeille.

Et sa mère, alors, lui répond :

- Si tu souffres de l’aiguillon

Dont une abeille t’a blessé,

O mon Amour, que te diront

Ceux que tes flèches ont touchés ? » (trad. Robert Brasillach).

Ronsard :

   « Le petit enfant Amour

Cueillait des fleurs à l’entour

D’une ruche, où les avettes

Font leurs petites logettes.

   Comme il les allait cueillant

Une avette sommeillant

Dans le fond d’une fleurette

Lui piqua la main douillette.

   Sitôt que piqué se vit,

Ah ! je suis perdu ! ce dit,

Et, s’en courant vers sa mère,

Lui montra sa plaie amère ;

   Ma mère, voyez ma main,

Ce disait Amour, tout plein

De pleurs, voyez quelle enflure

M’a fait une égratignure !

   Alors Vénus se sourit

Et en le baisant le prit,

Puis sa main lui a soufflée

Pour guérir sa plaie enflée.

   Qui t’a, dis-moi, faux garçon,

Blessé de telle façon ?

Sont-ce mes Grâces riantes,

De leurs aiguilles poignantes ?

   Nenni, c’est un serpenteau,

Qui vole au printemps nouveau

Avecques deux ailerettes

Ça et là sur les fleurettes.

   Ah ! vraiment je le connois,

Dit Vénus; les villageois

De la montagne d’Hymette

Le surnomment Mélissette.

   Si doncques un animal

Si petit fait tant de mal,

Quand son alène époinçonne

La main de quelque personne,

   Combien fais-tu de douleur,

Au prix de lui, dans le cœur

De celui en qui tu jettes

Tes amoureuses sagettes » (Odes, IV, 16).

 

 

(3)3.4. Les chants choraux

            Il s'agit d'un genre solennel, composé en dorien, dont la technique et dont l’inspiration se modifient au fil des ans. Les rythmes deviennent plus complexes et le cadre de leur exécution varie : de caractère strictement religieux au début, les poèmes choraux s’adaptent aux différentes circonstances de la vie en société.

 

            (3)3.4.1. ALCMAN DE SARDES (première moitié du VIIe siècle)

            Venu d'Ionie à Sparte, il adopte le dialecte laconien et compose essentiellement des Parthénées, chants exécutés en procession par des jeunes filles,  dont il crée le genre.  On n’a conservé de son œuvre que des lambeaux et une centaine de vers d’un chant, contenus dans un papyrus. Alcman est un poète raffiné, qui s’est attiré la réputation d’avoir appris des oiseaux la douceur de ses chants.

 

« Alcman a inventé musiques et paroles,

Selon ce qu’il a appris

Du langage parlé par la voix des perdrix ».

 

« Des hauts monts et le gouffre et la cime s’endort,

Et le cap comme le torrent,

Et, nourris du sol noir, le reptile et le plant,

Et le fauve des monts, avec l’abeille encor,

Et le monstre au profond de la mer violette,

Et des oiseaux aux larges ailes

Les races s’endorment encor » (trad. Robert Brasillach). 

 

 

            (3)3.4.2. STÉSICHORE D'HIMÉRA (fin VIIe ‑ début VIe siècle)

            Originaire de Sicile, il chante les héros du cycle épique, dans des chants choraux qui influenceront la tragédie. Stésichore a ainsi retravaillé les mythes et a été considéré par les Anciens comme un relais important entre l’épopée et le théâtre. Par exemple, il est célèbre pour avoir composé un poème qui condamnait le comportement d’Hélène, puis de l’avoir réhabilité dans ce qui s’est appelé grâce à lui une palinodie. On a conservé que quelques fragments de son œuvre, ce qui ne nous permet pas de porter un jugement valable sur celle-ci.

 

« D’un homme mort, il meurt toute la grâce humaine ».

 

« L’hirondelle babille et voici le printemps » (trad. Robert Brasillach).

 

 

            (3)3.4.3. IBYCOS DE RHÉGION (deuxième moitié du VIe siècle)

            Originaire de Grande‑Grèce et élève de Stésichore, il fait carrière en Ionie, composant des Éloges qui célébraient ses patrons et leurs amours. On a conservé de lui moins que rien.

 

« Sur les plus hautes branches

Se tiennent les oiseaux ;

Bigarrée, c’est la poule d’eau,

Col-changeant, la poule sultane,

Et l’alcyon aux ailes larges » (trad. Raymond Brasillach).

 

 

            (3)3.4.4. SIMONIDE DE CÉOS (deuxième moitié du VIe siècle – début Ve siècle)

            Né dans une petite île non loin d'Athènes, il voyage et fréquente  notamment les Pisistratides, fils du tyran athénien Pisistrate, et le tyran sicilien Hiéron de Syracuse. Contemporain des Guerres médiques, il en célèbre non sans grandeur les hauts faits. Il a tâté de tous les genres, mais est surtout renommé par ses épigrammes et ses épinicies : dans l’une d’entre elles intervient le très beau et très émouvant épisode de Danaé, abandonnée avec son fils Persée, encore en bas âge, aux caprices des flots :

 

 .

« Sur la nacelle façonnée

Souffle le vent,

Et la vague l’emporte et la tient balancée.

Pâle d’effroi est Danaé.

Les larmes sur ses joues sans cesse vont coulant,

Et de ses tendres mains elle entoure Persée,

Elle lui dit : » O mon enfant,

Que j’ai de peine !

Mais toi, tu dors, mais toi, calme et doux est ton cœur,

Sur cette barque de douleur

Rivetée par ses clous de bronze,

Dans la ténèbre noire et parmi la nuit sombre.

Ah ! de rien tu ne t’aperçois,

Quand  sur tes beaux cheveux vient la vague profonde,

Quand le vent élève sa voix,

Mais dans la laine rouge, ah ! tu es en repos,

Mon petit visage si beau !

Si le danger pour toi était bien le danger,

A mes paroles tu tendrais

Tes oreilles charmantes.

Mais allons, mon petit, dors, je te le demande,

Et que dorme aussi l’Océan,

Et dorme l’immense disgrâce » (trad. Robert Brasillach).

 

 

 

            (3)3.4.5. PINDARE DE CYNOSCÉPHALE (env. 518‑440 a.C.)

            Né près de Thèbes, il effectue de nombreux séjours loin de sa patrie: à Athènes, en Sicile, chez Théron d'Agrigente,  Hiéron de Syracu­se, et ailleurs. Il meurt sans doute à Argos. De son oeuvre abondante et variée ne nous sont parvenues, dans leur in­tégralité, que les épinicies, à savoir 14 Olympiques, 12 Pythi­ques, 8 Isthmiques et 11 Néméennes. 

            Pindare y utilise la langue dorienne, des formes poétiques variées (strophes, antistrophes, épodes), ainsi que des métaphores subtiles et des mots rares. Si la louange d'un vainqueur de jeux pan­helléniques est le prétexte de chaque poème le centre en est le développement d'un ou de plusieurs mythes, dont des versions rares nous sont à l’occasion présentées ; dans ces épinicies, au-delà des thèmes obligés que le poète est tenu à inscrire dans sa composition - éloge du sportif, éloge de son mécène, éloge de l’organisateur des jeux -, Pindare exprime son profond amour des dieux, qu'il croit justes, sa conscience du destin tragique de l'homme et la grandeur de sa mission sacrée de poète inspiré. Il transcende ainsi le genre dont il respecte les règles.

 

« Une joie que les jours transmettent aux jours, sans répit, c’est le bien suprême pour un homme ! A moi de couronner notre hôte aux sons du mode équestre, sur le ton éolien. Je sais que jamais mes hymnes, de leurs plis glorieux, ne pareront un hôte qui, parmi les hommes de ce temps, réunisse, à un plus haut degré, et le goût du beau et la puissance irrésistible. Un Dieu veille sur tes desseins, Hiéron ; il se donne cette tâche ! S’il ne cesse pas bientôt de te favoriser, j’espère que plus douce encore à ton cœur sera la victoire que remportera ton char agile ; j’irai, près de la colline lumineuse de Cronos, trouver la voie des louanges dignes de la célébrer. Oui, pour moi la Muse tient en réserve des traits tout puissants. Il est des grandeurs de plusieurs ordres : c’est pour les rois que se dresse la plus sublime. Ne porte pas tes regards plus loin. Puisse ton pied toujours fouler les cimes, tandis qu’aussi longtemps associé aux triomphateurs, je ferai connaître mon génie, parmi les Grecs, en tous lieux » (Ol. I, 98-116 ; trad. Aimé Puech).  

 

Illustration du thème :

 

« Etre borné par un seul jour,

qui est-il et qui n’est-il pas ?

L’homme est le songe que fait l’ombre » (σκιᾶς ὄναρ ἄνθρωπος; Py. VIII, 95-97 ; trad. Robert Brasillach).

 

 

            (3)3.4.6. BACCHYLIDE DE CÉOS (env. 507‑467 a.C.).

            Élève et neveu de Simonide de Céos, il est introduit par ce dernier à la cour d'Hiéron de Syracuse, où il se pose comme rival de Pindare. Il n'était connu que par une centaine de vers, lorsque des papyrus égyptiens, découverts à la fin du XIXe siècle, livrèrent 20 poèmes  plus ou moins complets (épinicies, péans, dithyrambes).

            Son inspiration rejoint celle de Pindare (éloge du sportif, de son mécène et de la ville d’accueil, évocation de mythes, sentences morales) ; il est plus facile à lire que lui, mais peut-être aussi moins profond et plus conventionnel. L’extrait cité illustre ces points, reprend le thème retenu et contient une allusion à Simonide de Céos :

 

   « Au sage je fais entendre des paroles qu’il peut comprendre. L’éther profond reste pur ; l’eau de la mer ne se corrompt ; l’or apporte de joyeux pensers. Mais quand l’homme a laissé passer la vieillesse chenue, il ne lui est pas permis

   de ramener la verdoyante  jeunesse. L’éclat du moins de la vertu chez les mortels ne connaît pas, en même temps que le corps, le dépérissement : c’est la Muse qui le nourrit. Pour toi, Hiéron,

   tu as montré au monde les plus belles fleurs de la prospérité. La réussite ne reçoit pas sa parure du silence. Mais sera dans la vérité quiconque chantera la gloire des beaux exploits, et celle du rossignol de Kéos, dont la parole est de miel » (Epinicie III, 55-64 ; trad. Jacqueline Duchemin et Louis Bardollet).

 

 

         (3) 4. FIN DE LA POÉSIE LYRIQUE

            La poésie lyrique, qui était étroitement liée à la vie de cour, s'affai­blit avec l'expansion de la démocratie. Elle survit essentiellement dans les chœurs des tragédies au Ve siècle. Au IVe siècle, le genre n'est plus repré­senté que par de rares poètes, dont TIMOTHÉE DE MILET, auteur d'un poème sur la bataille de Salamine, intitulé Les Perses.