LA
POÉSIE LYRIQUE DU VIIe AU Ve SIÈCLE
(3) 1.
DÉFINITION DE LA POÉSIE LYRIQUE
(3)1.1. Ce que la poésie lyrique
n'est pas
‑
Elle n'est pas lyrique au sens où nous entendons habituellement ce mot :
cf. définition de Larousse : « se dit d’une œuvre poétique,
littéraire ou artistique où s’expriment avec une certaine passion les
sentiments personnels de
l’auteur »; elle
ne décrit pas ‑ du moins pas essentiellement ‑ les sentiments
personnels du poète.
‑
Elle n'est pas non plus
nécessairement chantée: cf. définition de Larousse : « qui
est mis en musique et chanté : par exemple théâtre lyrique » certains
poèmes se contentent d'un accompagnement musical.
(3)1.2. Ce que la poésie lyrique
est
‑
Elle est constituée de
poèmes de mètres variés, que l'on peut classer selon leur forme.
‑
Ces poèmes sont
étroitement liés à la musique: certains sont chantés (poésie
mélique) soit par une seule personne (poésie monodique), soit par un
ensemble (poésie chorale); d'autres sont simplement récités avec
accompagnement musical (poésie monodique).
Les
instruments de musique utilisés sont: 1. la lyre ou la cithare (de la famille
de la guitare); 2. l'aulos (instrument à
vent apparenté à la flûte).
‑ Les sujets en sont variés et comprennent divers éléments dans une proportion variable:
* Expression de sentiments amoureux et autres,
qu’ils soient éprouvés personnellement ou non.
*
Expression d'une morale adaptée aux changements politiques et intervenant dans le cadre de la cité.
* Développements de thèmes de circonstances:
exaltation d'un dieu, d'un héros, d'un vainqueur sportif.
‑
Les centres de production
de cette poésie sont variés, incluant les cités d'Asie‑Mineure (p. ex. Archiloque de Paros, Alcman de
Sardes), de la Grèce continentale (Pindare de Cynoscéphale)
et de la Grande‑Grèce (p. ex. Stésichore d’Himéra,
Ibycos de Rhégion).
(3) 2. CLASSEMENT
DES GENRES À L'INTÉRIEUR DE LA POÉSIE LYRIQUE
(3)2.1. La poésie chorale
Elle est chantée en dorien et se
sert de mètres compliqués.
Elle
comprend:
‑ le
péan: chant en l'honneur d'Apollon;
‑ le
dithyrambe: chant en l'honneur de Dionysos, puis d'autres dieux;
‑ le parthénée: chant de jeunes filles;
‑ le
thrène: chant funèbre;
‑ l'enkômion: chant d'éloge;
‑ l'épinicie:
chant de victoire célébrant le triomphe de sportifs;
‑ l'hyporchème: chant et danse en l'honneur
d'Apollon.
(3)2.2. La poésie monodique chantée
Il
s'agit essentiellement de:
‑ l'ode:
chanson abordant tous les sujets dans des vers variés, groupés en strophes.
(3)2.3. La poésie
monodique récitée
Elle
regroupe:
‑ l'élégie:
poème fondé sur l'alternance régulière d'hexamètres et de pentamètres
dactyliques;
‑ l'iambe:
poème fondé sur une succession d'iambes.
(3) 3. LES
POÈTES LYRIQUES (classés selon le genre qu'ils ont le mieux illustré)
Remarque : dans la mesure du
possible, les différents extraits cités montreront comment différents poètes
ont traité un même sujet, en l’occurrence, la fragilité de la destinée humaine.
(3)3.1. La poésie iambique (genre
satirique par excellence)
(3)3.1.1. ARCHILOQUE DE PAROS (première moitié du VIIe siècle)
Né
d'un noble et d'une esclave, il mène la vie aventureuse d'un soudard, vendant
ses services comme mercenaire, et appréciant les rixes. S’il est capable de
célébrer l’amour et la beauté, il est surtout un maître de l'invective, réaliste,
sans illusions sur les valeurs exaltées par ses contemporains, qui se moque
aussi bien de son ex‑fiancée que de l'armée à laquelle il ne croit pas.
Les deux extraits qui suivent illustrent ce double aspect de son talent :
« Elle aimait porter la branche de myrte, Elle aimait la fleur de beauté des roses, Laissait sur ses seins et sur ses épaules Couler ses cheveux comme fait une ombre… » « Mon bouclier fait le bonheur De quelque soldat des Bulgares ; Je l’ai lâché à contre cœur Dans un buisson, cet objet rare ! C’est que je voulais fuir la mort : Au diable mon vieux bouclier ! Je m’en rachèterai encor : Il ne sera pas plus mauvais » (trad.
Robert Brasillach). |
Illustration du thème :
« Sache, vainqueur, dominer ta victoire, Ne pas, vaincu, t’enfermer dans les pleurs, Sans t’irriter quand vient une heure noire, Sans démesure au milieu du bonheur, Et sache bien que les choses humaines Ne sont jamais que mouvance incertaine » (trad. Robert Brasillach). |
(3)3.1.2. SÉMONIDE D'AMORGOS (deuxième moitié du VIIe siècle)
Il
est célèbre par une satire des femmes, qu'il classe en différentes catégories
et qu'il rapproche d'animaux correspondants.
(3)3.1.3. HIPPONAX D'ÉPHÈSE (fin du VIe siècle)
Poète
renommé pour sa grossièreté, et dont il reste peu de vers. On lui attribue la
paternité de l’aphorisme suivant :
« Il
y a deux jours où une femme est un plaisir : le jour où on l'épouse et
le jour où on l'enterre ». |
(3)3.2. La poésie élégiaque
Elle
peut être tendre et triste, mais aussi guerrière ou politique.
(3)3.2.1. CALLINOS D'ÉPHÈSE (première moitié du VIIe siècle)
Il
compose des exhortations au combat (restent 2 fragments).
(3)3.2.2. TYRTÉE (milieu du VIIe siècle)
Il séjourne à Sparte, dont il exalte les valeurs guerrières par des exhortations au combat, demeurées célèbres. A titre anecdotique, on raconte qu'avant de partir en campagne, les soldats se réunissaient pour écouter une récitation de celles-ci.
L’intérêt de son œuvre réside dans le fait qu’il a adapté l’idéal homérique, fondé sur la chevalerie et la gloire personnelle en un idéal collectif de service à la cité. Comme Homère en effet, Tyrtée célèbre la valeur guerrière, le bonheur des vainqueurs et la souffrance des vaincus. Il exalte la gloire du jeune homme mort en combattant. Mais cet honneur n'est plus réservé aux guerriers nobles, il est désormais accessible à tous.
« O
garçons ! au combat luttez en rangs serrés, Car la fuite est honteuse autant que la panique. Ayez dans la poitrine un grand cœur héroïque, N’aimez pas trop la vie au moment de lutter. […] Mais les jeunes garçons sont toujours beaux à voir, Tant que brille la fleur des jeunes jours
riants : Des femmes le désir, des hommes les égards, Alors qu’ils sont en vie les suivent
du regard, Et ils sont beaux aussi, tombés au premier rang » (trad. Robert Brasillach). |
(3)3.2.3. MIMNERME DE COLOPHON (deuxième moitié du VIIe siècle)
Amoureux
d'une joueuse de flûte, Nanno, il chante avec
mélancolie l'amour, le plaisir éphémère et la brièveté de la jeunesse ;
mais on ne sait si ce sont des sentiments personnels qu’il exprime ou s’il
exploite avec art des thèmes conventionnels. Le poème qui suit a
incontestablement des accents « ronsardiens » et illustre une seconde fois le thème :
Mimnerme : Comme au printemps fleuri poussent vite les feuilles Lorsque les font grandir les rayons du soleil, Ainsi, un court instant, à ces feuilles pareils, Nous pouvons encor jouir des fleurs de la jeunesse, Ignorants, grâce à Dieu, du mal comme du bien : Mais déjà vient à nous le pas des noirs Destins ; L’un apporte en présent la cruelle vieillesse, Et l’autre de la vie montre déjà la fin. Il ne dure qu’un jour, le fruit de la jeunesse, Ainsi que le soleil sur le jour des humains » (trad. Robert Brasillach). |
Ronsard : Mignonne, allons voir si la rose Qui de matin avait déclose Sa robe de pourpre au soleil, A point perdu cette vesprée Les plus de sa robe pourprée, Et son teint au vôtre pareil. Las ! voyez comme en peu d’espace, Mignonne, elle a dessus la place, Las, las ses beautés laissé
choir ! O vraiment marâtre Nature, Puisqu’une telle fleur ne dure Que du matin jusqu’au soir ! Donc, si vous m’en croyez, mignonne, Tandis que votre âge fleuronne En sa plus verte nouveauté, Cueillez, cueillez votre jeunesse : Comme à cette fleur, la vieillesse Fera ternir notre beauté » (Odes, I, 17). |
(3)3.2.4. SOLON D'ATHÈNES (première moitié du VIe siècle)
D’ascendance
noble, Solon est obligé par la ruine de sa famille à s’adonner au commerce, ce
qui l’amène à beaucoup voyager. Dans le même temps, il s’intéresse à la
politique et compose des élégies pour faire connaître ses idées en la matière.
Porté au pouvoir par les Athéniens lors d’une profonde crise agraire, il prend
des mesures en faveur des déshérités (suppression de l'esclavage pour dettes)
et d’une certaine démocratisation de la société : participation accrue –
selon un classement censitaire – à l’assemblée et fondation d’un tribunal
populaire, l’Héliée. Les poèmes qui nous ont été conservés reflètent sa force
de conviction ainsi que la modération qui lui a valu d’être intégré parmi les
Sept Sages de la Grèce : il y prône un usage juste des richesses, condamne
l'hubris et vante la sôphrosunè,
qui est le respect de la justice et des dieux.
« Si j’ai épargné la terre de ma patrie, Si je ne me suis pas attaché à la violence amère et à
la tyrannie, Si je n’en ai pas souillé et rendu honteuse ma
renommée, Je n’ai pas à en rougir, car c’est ainsi, je crois,
que mon nom pourra surpasser Le nom de tous les hommes ». « Qui agit grandement ne peut plaire à
chacun ». « Je vieillis sans cesser d’apprendre » (Γηράσκω δ’αἰεὶ πολλὰ διδασκόμενος ; trad. Robert Brasillach). |
(3)3.2.5. THÉOGNIS DE MÉGARE (milieu du VIe siècle)
Contrairement
à Solon, Théognis est un aristocrate militant en faveur
du maintien de ses privilèges dans une période de lutte entre parti
démocratique et oligarchie ; il est par conséquent obligé de partir en
exil lorsque les démocrates triomphent. Il compose des poèmes adressés au jeune
Cyrnos, où il dénonce l'anarchie et place la justice
dans le camp qu'il défend. Le Livre II de ses poèmes, dont on n’a conservé que
quelques textes, a un contenu érotique
(et pédérastique).
« Ecrase sous ton pied le peuple sans raison. Mets-lui le joug pesant, pique-le d’aiguillons.
L’esclavage ne plaît à nul autant qu’à lui, Parmi tous les vivants sur qui le soleil luit ». « L’amour est doux-amer, et dur et merveilleux, Tant que les jeunes gens chercheront à l’atteindre. Qu’il est doux de pouvoir réaliser son vœu, Triste de le poursuivre et ne pouvoir
l’atteindre ! » (trad.
Robert Brasillach). |
(3)3.2.6. PHOCYLIDE DE MILET (milieu du VIe siècle)
La
tradition voit en lui un des créateurs de l’épigramme, c’est-à-dire de courts poèmes
composés en distiques élégiaques, à l’imitation des inscriptions funéraires et
votives. On lui attribue un certain nombre de sentences morales, du type :
« Une cité sur un rocher, harmonieusement
gouvernée, même petite, sera plus forte que Ninive l’insensée ». |
(3)3.3. Les odes
A
la différence des élégies et des iambes, qui se détachent de la musique, les
premières par leur caractère oratoire, les seconds par leur caractère agressif,
les chansons, vivantes et souples, sont et demeurent étroitement liées à la
musique : elles restent véritablement chantées, emploient des rythmes
variés et se développent en systèmes (vers semblables entre eux) et strophes
(vers de mètres différents).Ces chants individuels se prêtent particulièrement
bien à l'expression de sentiments intimes, en particulier l’amour et le
plaisir du vin.
(3)3.3.1. ALCÉE DE LESBOS (fin VIIe ‑ début VIe siècle)
Comme
Archiloque, il mène la vie aventureuse du condottiere et, comme lui, perd son
bouclier lors d’une bataille. Rival de Sappho, il introduit une innovation
technique: la strophe alcaïque. Par ailleurs, il tire de ses expériences vécues
son inspiration. Parmi son oeuvre conservée, on trouve des chansons à boire et des
satires politiques, où apparaît cependant un sentiment très vif de la nature.
Les critiques littéraires grecs, tel Denys d’Halicarnasse, s’accordent à
admirer Alcée pour sa vivacité, son mélange de grâce et de force et son art
consommé de pratiquer l’image.
« Buvons ! n’attendons pas les lampes : A un doigt est la fin du jour. Apporte-nous des coupes grandes, Des coupes ornées, mon amour. Le fils divin de Sémélé Aux hommes le vin a donné Afin qu’ils puissent oublier. Emplis la coupe jusqu’en haut, Un tiers de vin et deux tiers d’eau Et qu’une coupe chasse l’autre » (trad. Robert Brasillach). |
(3)3.3.2. SAPPHO DE LESBOS (fin VIIe ‑ début VIe siècle)
Poétesse
de profession, chargée d'organiser des prestations, elle rassembla une école
autour d'elle et introduit une innovation technique: la strophe sapphique. On a fait de Sappho
l’ « initiatrice » de l’amour entre femmes. En fait, elle était
mariée et peut-être mère d’une fille ; ce qui ne l’empêchait pas d’avoir
des relations passionnées avec ses élèves, de la même manière que Socrate en
eut avec Agathon et Charmide.
Si la sexualité de Sappho attira davantage l’attention, c’est parce que son
témoignage est unique, alors que les amours pour des adolescents ont été
largement célébrées. Quoi qu’il en soit, sa poésie fut fort appréciée des
Anciens. Elle disparut par la suite et fut redécouverte à la Renaissance
essentiellement à travers deux poèmes conservés grâce à des citations, l’une de
Denys d’Halicarnasse, l’Hymne à Aphrodite, l’autre, du traité du Sublime
« Il est semblable aux dieux », poème qui fut traduit par
Catulle . Nous en savons davantage aujourd’hui sur l’œuvre de Sappho grâce
aux papyrus d’Oxyrhynche.
« Il
goûte le bonheur que connaissent les dieux Celui qui peut auprès de toi Se tenir et te regarder, Celui qui peut goûter la douceur de ta voix, Celui que
peut toucher la magie de ton rire, Mais moi, ce rire, je le sais, Il fait fondre mon cœur en moi. Ah !
moi, sais-tu, si je te vois, Fût-ce une seconde aussi brève, Tout à coup alors sur mes lèvres, Expire sans force ma joie. Ma langue est
là comme brisée, Et soudain, au cœur de ma chair, Un feu invisible a glissé. Mes yeux ne voient plus rien de clair, A mon oreille un bruit a bourdonné. Je suis de
sueur inondée, Tout mon corps se met à trembler, Je deviens plus verte que l’herbe, Et presque rien ne manque encore Pour me sentir comme une morte ». (Robert Brasillach). |
« Heureux qui près de toi pour toi
seule soupire Qui jouit du plaisir de t’entendre parler, Qui te voir quelquefois doucement lui sourire, Les Dieux, dans son bonheur, peuvent-ils
l’égaler ? Je sens de
veine en veine une subtile flamme Courir par tout mon corps, sitôt que je te vois ; Et dans les doux transports où s’égare mon âme Je ne saurais trouver de langue ni de voix. Un nuage
confus se répand sur ma vue. Je n’entends plus ; je tombe en de douces
langueurs Et pâle, sans haleine, interdite, éperdue Un frisson me saisit, je tremble, je me meurs » (Nicolas Boileau, Traité du
Sublime, Paris, 1674, ch. VII). |
« Je le
vis, je rougis, je pâlis à sa vue Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler Je sentis tout mon cœur et transir et brûler Je reconnus Vénus et ses feux redoutables » (Racine, Phèdre). |
« Je désire et je brûle ». « A nouveau l’Amour, le briseur de membres, Me tourmente, doux et amer. Il est insaisissable, il rampe » (trad. Robert Brasillach). |
(3)3.3.3. ANACRÉON DE TÉOS (milieu du VIe siècle)
Originaire
d’Asie-Mineure, Anacréon est un grand voyageur,
séjournant dans des cours illustres, telles que la cour de Polycrate à Samos et
celle d'Hipparque, le fils de Pisistrate, à Athènes. Il atteint une extrême
vieillesse. Il nous a laissé quelques chansons d'amour et chansons de table, où
il se révèle délicieux de finesse.
« Pourquoi me fuis-tu, cavale de Thrace, Pourquoi ce regard oblique et sans grâce ? Crois-tu que je sois sans adresse encor ? Mais sache-le
bien, je pourrais sans peine Te passer au col la bride et le mors, Te faire tourner autour de l’arène. Et si maintenant, aux prés et pastures Tu bondis et joues d’un cœur si léger, C’est qu’il manque encor un bon écuyer Qui sût te serrer comme une monture » (trad. Robert Brasillach). |
Illustration du thème :
« Oui, mes tempes sont déjà grises, Mes cheveux sur mon front sont blancs ; Jeunesse, auprès, n’est plus assise, Et l’on a vu vieillir mes dents. Pour goûter la douceur de vivre, Ah ! je n’ai plus beaucoup de temps : Moi qui ai peur de l’autre rive, Je m’en défends bien souvent. Le gouffre funèbre m’effraie, Triste est la route qui descend : Il n’est pas près de remonter Non, celui-là qui la descend » (trad. Robert Brasillach). |
Il
fut tellement apprécié durant l’Antiquité qu’il fut abondamment imité au cours
des siècles entre le Ier siècle a.C. jusqu’à l’époque
byzantine. Ces poèmes inspirés par lui furent regroupés dans un recueil de
poèmes, les Anacréontiques, qui furent considérés comme authentiques
lors de leur redécouverte à la Renaissance. La douceur d’Anacréon y était
devenue préciosité et convention : le succès du recueil fut tel qu’il
multiplia, par exemple, dans l’art, les
représentations du petit dieu Amour, tel qu’il est décrit, par exemple, dans le
poème « l’Amour piqué », traduit de façon exquise par Ronsard.
Anacréontiques : « Dans les roses, un jour, Une abeille dormait. Ne la vit point l’Amour, Elle le piqua au doigt. Avec sa main blessée, Il se prend à crier. Il s’envole et il court Vers Cythérée la belle. - Ma mère, crie l’Amour, Je suis perdu, je meurs ! Un serpent m’a piqué, Petit, avec des ailes. Les paysans appellent Cette bête une abeille. Et sa mère, alors, lui répond : - Si tu souffres de l’aiguillon Dont une abeille t’a blessé, O mon Amour, que te diront Ceux que tes flèches ont touchés ? » (trad. Robert Brasillach). |
Ronsard : « Le
petit enfant Amour Cueillait des fleurs à l’entour D’une ruche, où les avettes Font leurs petites logettes. Comme il les
allait cueillant Une avette sommeillant Dans le fond d’une fleurette Lui piqua la main douillette. Sitôt que
piqué se vit, Ah ! je suis perdu ! ce dit, Et, s’en courant vers sa mère, Lui montra sa plaie amère ; Ma mère,
voyez ma main, Ce disait Amour, tout plein De pleurs, voyez quelle enflure M’a fait une égratignure ! Alors Vénus
se sourit Et en le baisant le prit, Puis sa main lui a soufflée Pour guérir sa plaie enflée. Qui t’a,
dis-moi, faux garçon, Blessé de telle façon ? Sont-ce mes Grâces riantes, De leurs aiguilles poignantes ? Nenni, c’est
un serpenteau, Qui vole au printemps nouveau Avecques deux ailerettes Ça et là sur les fleurettes. Ah !
vraiment je le connois, Dit Vénus; les villageois De la montagne d’Hymette Le surnomment Mélissette. Si doncques un animal Si petit fait tant de mal, Quand son alène époinçonne La main de quelque personne, Combien
fais-tu de douleur, Au prix de lui, dans le cœur De celui en qui tu jettes Tes amoureuses sagettes » (Odes, IV, 16). |
(3)3.4. Les chants choraux
Il
s'agit d'un genre solennel, composé en dorien, dont la technique et dont
l’inspiration se modifient au fil des ans. Les rythmes deviennent plus
complexes et le cadre de leur exécution varie : de caractère strictement
religieux au début, les poèmes choraux s’adaptent aux différentes circonstances
de la vie en société.
(3)3.4.1. ALCMAN DE SARDES (première moitié du VIIe siècle)
Venu
d'Ionie à Sparte, il adopte le dialecte laconien et compose essentiellement des
Parthénées, chants exécutés en procession par
des jeunes filles, dont il crée le
genre. On n’a conservé de son œuvre que
des lambeaux et une centaine de vers d’un chant, contenus dans un papyrus.
Alcman est un poète raffiné, qui s’est attiré la réputation d’avoir appris des
oiseaux la douceur de ses chants.
« Alcman a inventé musiques et paroles, Selon ce qu’il a appris Du langage parlé par la voix des perdrix ». « Des hauts monts et le gouffre et la cime
s’endort, Et le cap comme le torrent, Et, nourris du sol noir, le reptile et le plant, Et le fauve des monts, avec l’abeille encor, Et le monstre au profond de la mer violette, Et des oiseaux aux larges ailes Les races s’endorment encor » (trad. Robert Brasillach). |
(3)3.4.2. STÉSICHORE D'HIMÉRA (fin VIIe ‑ début VIe siècle)
Originaire
de Sicile, il chante les héros du cycle épique, dans des chants choraux qui
influenceront la tragédie. Stésichore a ainsi retravaillé les mythes et a été considéré
par les Anciens comme un relais important entre l’épopée et le théâtre. Par
exemple, il est célèbre pour avoir composé un poème qui condamnait le
comportement d’Hélène, puis de l’avoir réhabilité dans ce qui s’est appelé
grâce à lui une palinodie. On a conservé que quelques fragments de son œuvre,
ce qui ne nous permet pas de porter un jugement valable sur celle-ci.
« D’un homme mort, il meurt toute la grâce
humaine ». « L’hirondelle babille et voici le
printemps » (trad. Robert
Brasillach). |
(3)3.4.3. IBYCOS DE RHÉGION (deuxième moitié du VIe siècle)
Originaire
de Grande‑Grèce et élève de Stésichore, il fait carrière en Ionie,
composant des Éloges qui célébraient ses patrons et leurs amours. On a
conservé de lui moins que rien.
« Sur les plus hautes branches Se tiennent les oiseaux ; Bigarrée, c’est la poule d’eau, Col-changeant, la poule sultane, Et l’alcyon aux ailes larges » (trad. Raymond Brasillach). |
(3)3.4.4. SIMONIDE DE CÉOS (deuxième moitié du VIe siècle – début Ve siècle)
Né
dans une petite île non loin d'Athènes, il voyage et fréquente notamment les Pisistratides,
fils du tyran athénien Pisistrate, et le tyran sicilien Hiéron de Syracuse.
Contemporain des Guerres médiques, il en célèbre non sans grandeur les hauts faits.
Il a tâté de tous les genres, mais est surtout renommé par ses épigrammes et
ses épinicies : dans l’une d’entre elles intervient le très beau et très
émouvant épisode de Danaé, abandonnée avec son fils Persée, encore en bas âge,
aux caprices des flots :
.
« Sur la nacelle façonnée Souffle le vent, Et la vague l’emporte et la tient balancée. Pâle d’effroi est Danaé. Les larmes sur ses joues sans cesse vont coulant, Et de ses tendres mains elle entoure Persée, Elle lui dit : » O mon enfant, Que j’ai de peine ! Mais toi, tu dors, mais toi, calme et doux est ton
cœur, Sur cette barque de douleur Rivetée par ses clous de bronze, Dans la ténèbre noire et parmi la nuit sombre. Ah ! de rien tu ne t’aperçois, Quand sur tes
beaux cheveux vient la vague profonde, Quand le vent élève sa voix, Mais dans la laine rouge, ah ! tu es en repos, Mon petit visage si beau ! Si le danger pour toi était bien le danger, A mes paroles tu tendrais Tes oreilles charmantes. Mais allons, mon petit, dors, je te le demande, Et que dorme aussi l’Océan, Et dorme l’immense disgrâce » (trad. Robert Brasillach). |
(3)3.4.5. PINDARE DE CYNOSCÉPHALE (env. 518‑440 a.C.)
Né
près de Thèbes, il effectue de nombreux séjours loin de sa patrie: à Athènes,
en Sicile, chez Théron d'Agrigente,
Hiéron de Syracuse, et ailleurs. Il meurt sans doute à Argos. De son
oeuvre abondante et variée ne nous sont parvenues, dans leur intégralité, que
les épinicies, à savoir 14 Olympiques, 12 Pythiques, 8
Isthmiques et 11 Néméennes.
Pindare y utilise la langue dorienne,
des formes poétiques variées (strophes, antistrophes, épodes), ainsi que des
métaphores subtiles et des mots rares. Si la louange d'un vainqueur de jeux panhelléniques
est le prétexte de chaque poème le centre en est le développement d'un ou de
plusieurs mythes, dont des versions rares nous sont à l’occasion
présentées ; dans ces épinicies, au-delà des thèmes obligés que le poète
est tenu à inscrire dans sa composition - éloge du sportif, éloge de son
mécène, éloge de l’organisateur des jeux -, Pindare exprime son profond amour
des dieux, qu'il croit justes, sa conscience du destin tragique de l'homme et
la grandeur de sa mission sacrée de poète inspiré. Il transcende ainsi le genre
dont il respecte les règles.
« Une joie que les jours transmettent aux jours,
sans répit, c’est le bien suprême pour un homme ! A moi de couronner
notre hôte aux sons du mode équestre, sur le ton éolien. Je sais que jamais mes
hymnes, de leurs plis glorieux, ne pareront un hôte qui, parmi les hommes de
ce temps, réunisse, à un plus haut degré, et le goût du beau et la puissance
irrésistible. Un Dieu veille sur tes desseins, Hiéron ; il se donne
cette tâche ! S’il ne cesse pas bientôt de te favoriser, j’espère que
plus douce encore à ton cœur sera la victoire que remportera ton char
agile ; j’irai, près de la colline lumineuse de Cronos, trouver la voie
des louanges dignes de la célébrer. Oui, pour moi la Muse tient en réserve
des traits tout puissants. Il est des grandeurs de plusieurs ordres :
c’est pour les rois que se dresse la plus sublime. Ne porte pas tes regards
plus loin. Puisse ton pied toujours fouler les cimes, tandis qu’aussi
longtemps associé aux triomphateurs, je ferai connaître mon génie, parmi les
Grecs, en tous lieux » (Ol. I, 98-116 ; trad. Aimé
Puech). |
Illustration du thème :
« Etre borné par un seul jour, qui est-il et qui n’est-il pas ? L’homme est le songe que fait l’ombre » (σκιᾶς ὄναρ ἄνθρωπος; Py. VIII, 95-97 ; trad. Robert Brasillach). |
(3)3.4.6. BACCHYLIDE DE CÉOS (env. 507‑467 a.C.).
Élève
et neveu de Simonide de Céos,
il est introduit par ce dernier à la cour d'Hiéron de Syracuse, où il se pose
comme rival de Pindare. Il n'était connu que par une centaine de vers, lorsque
des papyrus égyptiens, découverts à la fin du XIXe siècle, livrèrent 20
poèmes plus ou moins complets
(épinicies, péans, dithyrambes).
Son
inspiration rejoint celle de Pindare (éloge du sportif, de son mécène et de la
ville d’accueil, évocation de mythes, sentences morales) ; il est plus
facile à lire que lui, mais peut-être aussi moins profond et plus
conventionnel. L’extrait cité illustre ces points, reprend le thème retenu et
contient une allusion à Simonide de Céos :
« Au
sage je fais entendre des paroles qu’il peut comprendre. L’éther profond
reste pur ; l’eau de la mer ne se corrompt ; l’or apporte de joyeux
pensers. Mais quand l’homme a laissé passer la
vieillesse chenue, il ne lui est pas permis de ramener la
verdoyante jeunesse. L’éclat du moins
de la vertu chez les mortels ne connaît pas, en même temps que le corps, le
dépérissement : c’est la Muse qui le nourrit. Pour toi, Hiéron, tu as montré
au monde les plus belles fleurs de la prospérité. La réussite ne reçoit pas
sa parure du silence. Mais sera dans la vérité quiconque chantera la gloire
des beaux exploits, et celle du rossignol de Kéos,
dont la parole est de miel »
(Epinicie III, 55-64 ; trad.
Jacqueline Duchemin et Louis Bardollet). |
(3) 4. FIN DE
LA POÉSIE LYRIQUE
La
poésie lyrique, qui était étroitement liée à la vie de cour, s'affaiblit avec
l'expansion de la démocratie. Elle survit essentiellement dans les chœurs des
tragédies au Ve siècle. Au IVe siècle, le genre n'est plus représenté que par
de rares poètes, dont TIMOTHÉE DE MILET, auteur d'un poème sur la bataille de
Salamine, intitulé Les Perses.